Donald Trump a récemment laissé entendre que les Etats-Unis avaient secrètement développé un missile de croisière à propulsion nucléaire. L'expert en défense Philippe Migault livre son analyse sur cette bourde, qui n'en est peut-être pas une.
On le sait, Donald Trump a une capacité à s’exprimer sans aucune retenue qui provoque des hauts le cœur de tout l’Etat profond occidental. Jamais à court d’innovations en la matière, il vient encore de livrer une performance exceptionnelle en laissant penser, au détour d’une phrase, que les Etats-Unis avaient secrètement développé une arme très performante. Ce n’est pas un équivalent du fameux missile 9M729 – pas encore – mais l’un des types de matériel qu’ils reprochent néanmoins à la Russie de posséder : un missile de croisière à propulsion nucléaire.
Vladimir Poutine, on s’en souvient, a dévoilé lors de son fameux discours du 1er mars 2018 une série de cinq engins susceptibles de déjouer sur le long terme les projets de défense antimissiles américains dont, notamment, le 9M730 Burevestnik (désignation OTAN SSC-X-9 Skyfall). Propulsé par un moteur atomique, celui-ci aurait une portée intercontinentale et des capacités de manœuvrabilité et d’endurance élevées, le qualifiant pour pénétrer les dispositifs d’interception les plus hermétiques. En cours de développement et d’essais, le missile aurait connu un raté le 8 août dernier, son réacteur ayant explosé lors de tests dans le centre d’essais de Nyonoksa, situé à une vingtaine de kilomètres de Severodvinsk, sur les rives de la mer Blanche. L’accident, qui a provoqué la mort d’au moins cinq membres du centre, aurait aussi suscité une brève mais sensible hausse de la radioactivité sur la zone, phénomène confirmé par l’agence atomique russe Rosatom, laquelle a ajouté que les personnes décédées étaient ses experts, fournissant de «l’ingénierie et du support technique pour la source d’énergie isotopique d’un moteur de missile (à bord d’une) plateforme maritime.» Autant de termes semblant désigner directement le Burevestnik.
Dans un de ses tweets donneurs de leçons, Donald Trump a aussitôt réagi en s’inquiétant de cette hausse angoissante de la radioactivité pour la population locale, glissant au passage que l’accident était porteur de renseignements intéressant pour les Etats-Unis qui disposent «d’une technologie similaire cependant plus avancée.» Et c’est là que les choses se corsent. Car officiellement le Pentagone ne dispose d’aucune arme de ce type en catalogue.
Dès lors plusieurs options sont envisageables.
La première, loin d’être exclue, est celle d’une rodomontade du président américain, aussi ignorant des questions d’armement que la quasi-totalité du personnel politique occidental. A l’approche des Présidentielles de 2020, Donald ressort son slogan du «make América great again», option «nous sommes déjà les meilleurs», le tout en titillant la Russie, ce qui ne peut que lui être favorable aux yeux de l’électorat américain, même si les soupçons de collusion entre Trump et le Kremlin ont été levés par le rapport Mueller.
La seconde, plus problématique, est que Trump en ait trop dit. Si les Etats-Unis disposent, effectivement, d’un matériel du même type que le Burevestnik, c’est qu’ils l’ont développé secrètement, dans le cadre d’un black programm. Or une telle information, alors que la rupture du traité FNI est consommée, suite aux accusations portées par Washington contre la Russie, serait pour le moins savoureuse si elle se confirmait. Car le développement et la détention sous le couvert du secret d’une telle arme n’est pas anodine. Certes la possession d’un missile de croisière à portée intercontinentale et à propulsion nucléaire n’est nullement illégale suivant les traités en vigueur. Mais si elle se confirmait, elle signifierait que depuis des années les Américains mentent à leurs alliés, à la communauté internationale, sur leur arsenal et sur leurs intentions en matière de désarmement nucléaire, un engin de ce type étant, par définition, à double capacité. Dès lors il est pour le moins déplacé de reprocher à la Russie de développer clandestinement des armements non conformes, la non-conformité du 9M729 restant toujours à démontrer par ailleurs.
La troisième option relève davantage de la manipulation. Elle consiste à envoyer un message à l’adversaire en faisant mine d’évoquer par mégarde un programme d’armement, réel ou dans les cartons, sur le mode «oups la boulette ! Saches à quoi t’en tenir…» Pratique à laquelle certains experts soupçonnent la Russie d’avoir recouru dans le cadre de la révélation fortuite du programme Status-6 «Poséidon». Reste ensuite à faire la part du bluff et des atouts dont dispose chacun…
Evidemment la première option est de loin la plus souhaitable. Mais elle n’est pas nécessairement la plus probable, en dépit du tempérament de Trump.
La seconde est parfaitement crédible, les Etats-Unis ayant conduit par le passé plusieurs programmes visant à se doter d’un tel armement.
Un seul fait relève de la certitude : nous sommes de retour dans un paradigme d’intimidation entre puissances majeures qui n’augure rien de bon pour les années à venir.
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