Philippe Migault décrypte le projet de défense spatiale avancé par Donald Trump. Une manière non seulement de réaffirmer la domination militaire américaine, mais aussi de brosser l'industrie de la défense dans le sens du poil.
America First ! A chaque fois qu’il est en difficulté sur le plan de la politique intérieure, Donald Trump en revient au slogan qui l’a porté à la Maison Blanche. Les déclarations du président des Etats-Unis, chaussant les bottes de Ronald Reagan trente-cinq ans après pour annoncer, à son tour, un projet fumeux de «guerre des étoiles», ne doivent en aucun cas être perçues comme un virage majeur du point de vue international. Toujours dans le collimateur de son opposition et de sa propre administration, qui l’accusent d’avoir été porté au pouvoir à la faveur d’une collusion avec le Kremlin, engagé dans un bras de fer budgétaire sur le dossier du mur à la frontière américano-mexicaine, il joue la carte de la diversion. De la sortie de crise par le haut, le très haut, puisqu’il s’agit, ni plus ni moins, que d’instaurer un bouclier antimissiles protégeant les Etats-Unis basé, notamment, dans l’espace.
De la sorte, Trump fait d’une pierre deux coups.
Primo, même s’il n’a pas prononcé une seule fois dans son intervention les mots Russie et Chine, il réaffirme sa volonté de renforcer la domination militaire américaine dans l’espace, dessein à l’origine de son projet de mise en place d’une force spatiale. Ce faisant, il signifie implicitement qu’il entend mettre en échec les volontés russe et chinoise de faire jeu égal avec les Américains du point de vue des arsenaux nucléaires et de la militarisation de l’espace. Une posture de chef de guerre toujours populaire et rendant caduques les rumeurs de proximité avec les autorités russes.
Secundo, il brosse dans le sens du poil ses militaires et ses industriels de défense, loin d’être parmi ses partisans les plus zélés, en faisant miroiter de juteux contrats de recherche et développement. Des labos d’étude et des centres d’essais qui tournent, des actionnaires satisfaits, des contrats d’expertise bien rémunérés : rien de mieux pour calmer les faucons dans la ligne d’un James Mattis, même si ceux-ci savent pertinemment que ce projet relève de la fantasmagorie pure et simple, tant du point de vue des coûts que de l’efficacité opérationnelle, comme l’ont excellemment rappelé nos confrères du New York Times.
Ceux-ci admettent que les Américains pourraient sans doute muscler leurs défenses. En multipliant le nombre d’intercepteurs GBU (Ground-Based Interceptors) ou en poussant le développant du missile SM-3 jusqu’à la version Block IIB, projet auquel avait renoncé l’administration Obama pour tenter de calmer les inquiétudes formulées par la Russie vis-à-vis du projet de bouclier antimissiles américain en Europe. Mais ils rappellent le faible pourcentage de réussite des essais de missiles antimissiles réalisés jusqu’ici par les Américains. Les journalistes soulignent dans la foulée les coûts prohibitifs du bouclier proposé par Trump, et encore d’un point de vue financier seulement, l’article n’évoquant pas les coûts diplomatiques d’un tel projet.
Celui-ci vise, selon le Président américain, à « détecter et détruire » des missiles intercontinentaux visant les Etats-Unis « où que ce soit et à tout moment, à quelque emplacement que ce soit… »At any place : les Etats susceptibles d’être victimes des retombées d’une interception de missile nucléaire intercontinental par les Américains apprécieront le souci que ces derniers ont des autres pays et leur volonté de les ménager. Quant au reste...
Face à un missile intercontinental rudimentaire, une interception est possible, mais relève déjà de l’exploit, nous l’avons évoqué supra. Face à un engin doté d’une phase ascensionnelle volontairement boostée, mettant en œuvre des MIRV (Multiple Independently targetable Reentry Vehicle), c’est-à-dire plusieurs têtes nucléaires, associées à des leurres, technologies déjà maîtrisées par les principales puissances nucléaires, il n’y a pas de solution technologiquement envisageable avant sans doute des décennies. Et il faudrait des milliers de milliards de dollars pour disposer de suffisamment de satellites radars et optiques d’alerte, de radars transhorizons, d’intercepteurs ultra-véloces et ultra-précis, pour neutraliser à coup sûr une vague d’ICBM (InterContinental Ballistic Missile, missile balistique intercontinental) arrivant de différents points. Si de surcroît ces missiles sont équipés de plusieurs corps de rentrée hypersoniques et hypermanœuvrants, autant rêver. Mais même en rêvant (l’American dream ne fait-il pas partie du soft power de notre bien-aimé suzerain ?) que ferait ce programme face à des missiles de croisière hypersoniques ? A d’éventuelles torpilles atomiques ?
Les Etats-Unis ne sont pas en mesure, que ce soit financièrement ou technologiquement, de réaliser un bouclier ABM susceptible de bouleverser l’équilibre stratégique, alors que toutes les autres puissances atomiques ont multiplié, ces dernières années, les phases de modernisation de leurs arsenaux. L’avantage est à l’épée. En premier lieu, sans doute, pour de simples raisons de coût.
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