La défaite subie par la chancelière allemande au sein de son groupe parlementaire constitue un petit séisme qui enterre encore un peu plus les espoirs du président français, analyse Pierre Lévy, rédacteur en chef du mensuel Ruptures.
Angela Merkel vient d’essuyer un sérieux revers sur la scène politique intérieure allemande : un des ses plus proches soutiens, Volker Kauder, a été battu, le 25 septembre, par un quasi-inconnu lors du scrutin pour désigner le président du groupe parlementaire chrétien-démocrate (CDU/CSU) au Bundestag. Volker Kauder, qui occupait ce poste depuis 2005 – précisément au moment où Angela Merkel entrait à la chancellerie – était une nouvelle fois candidat à sa propre succession, mais n’a obtenu que 112 voix de la part de ses collègues, face à Ralph Brinkhaus (125 voix), jusqu’à présent vice-président du groupe, et spécialiste des questions budgétaires et financières.
L’affaire est d’autant moins anodine qu’en Allemagne les présidents de groupe parlementaire jouissent d’un poids bien plus important qu’en France, quasiment à l’égal des dirigeants des partis eux-mêmes. L’événement est donc loin d’être anodin, et n’est pas sans conséquence à l’échelle européenne.
Il survient dans une République fédérale marquée par la fragilité politique de la coalition péniblement constituée en mars dernier. L’été a été rythmé par les polémiques entre la CDU et sa cousine bavaroise CSU à propos de la question migratoire, avec un Parti social-démocrate, troisième parti de la majorité, peinant à se faire entendre. Et le récent limogeage du chef du renseignement intérieur, qui s’est vu dans la foulée accorder une promotion, avant que cette décision ne soit finalement modifiée, a laissé un goût d’amateurisme et d’imprévoyance tout à fait contraire à l’image d’une chancelière assurant la stabilité du pays. La coalition a presque failli éclater.
Au-delà des péripéties, les observateurs constatent que c’est la formation bancale de la nouvelle «grande coalition», il y a six mois, qui ne cesse d’handicaper la solidité du gouvernement. Cette configuration a été le seul pis-aller trouvé par la classe politique face à la montée du parti AfD, souvent classé à l’extrême droite, devenu la première force d’opposition lors du scrutin de septembre 2017, avec 12,6% des suffrages. Il est désormais crédité de 17% des intentions de vote. Raison pour laquelle les partis au pouvoir redoutent comme la peste tout scrutin anticipé. Même si le patron du très influent hebdomadaire Der Spiegel, face au climat politique délétère, vient de signer un éditorial titré : «Des élections, maintenant !».
C’est la formation bancale de la nouvelle «grande coalition», il y a six mois, qui ne cesse d’handicaper la solidité du gouvernement
Pour sa part, le SPD n’a pas manqué d’enfoncer le couteau dans la plaie : l’un de ses dirigeants a jugé que la défaite de Kauder constituait «une révolte contre Merkel». De son côté, la co-présidente du groupe AfD a adressé un compliment ironique et empoisonné au vainqueur : «Félicitations à nos collègues conservateurs, un pas dans la bonne direction. Merkel doit suivre.»
Certes, le nouveau patron du groupe CDU/CSU ne se réclame pas d’une ligne frontalement opposée à celle d'Angela Merkel. Certains analystes ont donc vu dans sa victoire plutôt un mouvement d’humeur des députés contre une chancelière hésitante et usée qu’une volonté de changement de cap. Reste qu’il s’était illustré par des positions particulièrement dures lors de la crise grecque, et n’hésite pas à affirmer son attachement à une doctrine budgétaire orthodoxe, celle-là même qu’Emmanuel Macron espérait voir adoucie avec le départ du précédent ministre des Finances, Wolfgang Schäuble.
Ralph Brinkhaus est également un proche du ministre de la Santé, Jens Spahn (38 ans) qui a pris ses fonctions en mars dernier. Ce jeune loup met en cause la ligne «modérée» de la chancelière, avec l’ambition, dit-on fréquemment à Berlin, de la remplacer un jour. Il symbolise, tant sur le plan financier que sociétal, l’aile «dure» des chrétiens-démocrates qui brûle d’en finir avec la politique jugée trop «centriste» de Madame Merkel.
Si, à court terme, il est peu probable que le coup de force surprise de M. Brinkhaus se traduise par un virage brutal, la question se pose à moyen terme. Notamment en termes de coalition. La ligne qui prévaut jusqu'à aujourd’hui au sein de la CDU (et de la CSU) est d’exclure toute alliance avec l’AfD – au nom de la lutte contre l’«extrémisme». Mais l’arithmétique est cruelle : l’assise de la «grande coalition» s’est réduite de scrutin en scrutin, et tout porte à croire que cette tendance va se poursuivre. L’alliance entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates pourrait un jour ou l’autre ne plus suffire à constituer une majorité parlementaire – une perspective encore inimaginable il y a peu.
Dès lors, un changement au sein de la CDU pourrait rendre pensable la levée de l’excommunication de l’AfD. Pour l’heure, on n’en est pas là. Mais une échéance cruciale se rapproche : les élections régionales en Bavière se tiennent le 7 octobre. Si la chute annoncée de la CSU dans son fief – malgré ses efforts estivaux pour enfourcher les thèmes de l’AfD (sur les migrations) dans l’espoir d’affaiblir cette dernière – se confirmait, c’est tout le paysage politique d’outre-Rhin qui pourrait évoluer.
Et cela ne fait pas du tout les affaires du président français. Lors de son accession à l’Elysée, ce dernier ne cachait pas son ambition. Il voulait être celui qui «redonne du souffle» à une Union européenne confrontée à des crises «existentielles» sans précédent, et proposait en substance le marché suivant : la France redouble d’efforts (notamment d’austérité budgétaire) afin de devenir un élève modèle vis-à-vis de Bruxelles ; en échange, Paris gagnerait ses galons de co-dirigeant, avec Berlin, du renouveau de l’UE. Ce qui supposait, évidemment, que l’Allemagne fasse des concessions, comme par exemple un budget de la zone euro. Un compromis a minima avait été trouvé entre les deux dirigeants en juin dernier, très loin des espoirs de l’Elysée.
La défaite interne d'Angela Merkel rend désormais les rêves macroniens de moins en moins réalistes. Certes, à Berlin, on ne crie pas officiellement «Deutschland zuerst» (l’Allemagne d’abord), mais l’air du temps n’est plus aux trémolos sur la grande aventure européenne.
Pression des électeurs oblige – fût-elle diffuse.
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.