Les nouveaux ministres des Affaires étrangères et des Armées seront-ils les héritiers de la politique extérieure menée sous le quinquennat Hollande ? Pour l'expert militaire Philippe Migault, la réponse ne laisse pas de place au doute. Analyse.
RT France : Jean-Yves Le Drian a été nommé ministre de l'Europe et des affaires étrangères. La diplomatie française sous Emmanuel Macron sera-t-elle, selon vous, la continuité de celle qui a prévalu lors du quinquennat Hollande ?
Philippe Migault (P. M.) : Oui sans aucun doute ! Simplement parce que, indépendamment, des trois ministres de droite qui sont entrés dans ce gouvernement, il se situe majoritairement – si ce n'est très majoritairement – dans une sensibilité de gauche. Il va vraisemblablement poursuivre la politique de François Hollande vis-à-vis de l'Union européenne mais également des Etats-Unis, de la Russie et d'autres grandes puissances. On aura sans doute la même diplomatie. Seul le style devrait changer car Jean-Yves Le Drian n'est pas Jean-Marc Ayrault, mais grosso modo les orientations seront les mêmes.
Concrètement, nous sommes en guerre en permanence
RT France : Jean-Yves le Drian possède une certaine aura auprès des états-majors français. Doit-on s'attendre à voir avec lui un style diplomatique tourné vers la Défense et les interventions militaires ?
P. M. : La diplomatie française est déjà extrêmement tournée vers la défense et les interventions extérieures. Je rappelle qu'en 2013 nous Français étions prêts à aller frapper en Syrie. Si nous ne l'avons pas fait, c'est parce que les Américains nous ont laissés seuls en première ligne. Je rappelle également que la diplomatie française est à l'origine de la guerre en Libye et que concrètement nous sommes en guerre en permanence. De ce point de vue là, il n'y aura pas de changement majeur. Je pense néanmoins qu'en ce qui concerne l'aura de Jean-Yves Le Drian au sein des états-majors, c'est un point qu'il faut relativiser.
L'Europe de la défense sera certainement un chantier, mais un chantier vite abandonné
RT France : Sylvie Goulard, nouvelle ministre des Armées, est une ardente partisane de l'UE et du fédéralisme. L'Europe de la défense sera-t-elle selon vous l'objectif majeur de son action ?
P. M. : On peut sans aucun doute parier sur Sylvie Goulard pour essayer, notamment avec son homologue allemande Ursula von der Leyen, d'initier un certain nombre de chantiers de ce type. Il s'agira néanmoins certainement d'un affichage politique. Vous savez, il n'y a que la France qui veuille de cette Europe de la défense. Les Allemands et les autres alliés de la France au sein de l'OTAN n'en veulent pas. Nous pourrons toujours – comme le disait le Général de Gaulle –sautiller comme des cabris en criant «l'Europe, l'Europe, l'Europe», l'Europe de la défense, il n'y a que nous qui souhaitons la faire. Ce sera donc certainement un chantier, mais un chantier vite abandonné.
Les armées se battent sur les budgets que l'on veut bien leur allouer mais sur les orientations politiques de leur gouvernement, on ne les entend jamais
RT France : La volonté de Sylvie Goulard de créer plus d'interconnexions entre les armées des différents pays européens risque-t-elle d'entraîner des réactions négatives au sein de la défense française ?
P. M. : Les armées françaises sont légitimistes et légalistes. Elles obéissent à leur ministre de tutelle. J'ai rarement vu un général ou un amiral en exercice aller frontalement contre les orientations politiques de son ministère. Les armées se battent sur les budgets que l'on veut bien leur allouer. Sur les orientations politiques de leur gouvernement, on ne les entend jamais.
La France est une puissance moyenne, régionale, qui n'a plus les moyens de ses ambitions au Moyen-Orient.
RT France : Emmanuel Macron s'est déclaré favorable en avril dernier à une intervention militaire française en Syrie. Une intervention renforcée est-elle à prévoir ?
P. M. : Comme je vous l'ai dit plus haut, la France a voulu agir en Syrie en 2013 et s'est retrouvée bien seule. Agir d'accord, mais agir comment ? Dans quel but ? Et surtout agir avec quels moyens ? Ce sont les questions qui comptent. Concrètement en Syrie nous avons perdu la main. L'initiative diplomatique et stratégique appartient à la Russie, à la Turquie, à l'Iran et à Bachar el-Assad mais elle n'appartient plus ni à la France ni aux Etats-Unis. On peut peut-être s'attendre au Moyen-Orient à une présence française plus importante au sein de la coalition internationale contre l'Etat islamique – même si je pense que nous sommes vraiment à la limite de ce que nos moyens militaires nous permettent de faire. Au delà des incantations déclaratoires disant que la France est prête à faire davantage, il faut se rendre compte que la France est une puissance moyenne, régionale, qui n'a plus les moyens de ses ambitions au Moyen-Orient.
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