L'élection présidentielle approche dans une «atmosphère particulière, qui lui confère un sentiment d’urgence», et dicte aux candidats leur manière de mener campagne, selon l'économiste Jacques Sapir.
Le début de la campagne électorale de la présidentielle est aujourd’hui effectif. Même si l’on ne connait pas encore la liste des prétendants au premier tour (et bien entendu les noms des deux candidats qui s’affronteront au deuxième tour), on peut néanmoins discerner les grandes tendances de cette campagne. Elle se déroulera dans une atmosphère particulière, qui lui confère un sentiment d’urgence.
Il faut ici revenir sur l’année 2015 dont on ne mesure probablement pas assez qu’elle a représenté un pivotement important du contexte politique. Nous avons eu la crise grecque et son dénouement, par la capitulation du gouvernement Tsipras, mais nous avons eu aussi les attentats de masse, qu’il s’agisse de ceux de janvier 2015 (Charlie-Hebdo et l’Hyper Casher) ou de novembre 2015. Ces deux types d’événements ont provoqué une rupture multiple dans les paradigmes dominants sur lesquels la «classe politique» globalement s’appuie.
Les conséquences de l’été 2015
La crise grecque, qui d’ailleurs est loin d’être terminée – car la Grèce s’enfonce chaque jour davantage dans la récession – a eu pour effet d’obliger les différentes forces de la gauche européenne à prendre position sur la question des institutions de l’Union européenne et de la zone Euro. L’un des résultats les plus évidents de cette crise fut le dévoilement des institutions de l’Union européenne et de la zone Euro, qui ont été perçues pour ce qu’elles sont : des instruments antidémocratiques d’oppression des peuples. Le débat du premier semestre 2016, et la mobilisation importante qui en a résulté, autour de la «loi travail» sont venus conforter cette idée. Car, comment ne pas voir que cette loi n’est que la traduction dans le cadre français de politiques qui ont été décidées à Bruxelles.
On mesure ici l’importance centrale de la question de la souveraineté, car de cette notion découle la possibilité de la démocratie et donc d’un choix social
L’idée d’une réforme de l’intérieur, progressive, graduelle, de ces institutions a sombré dans le cours de l’été 2015. Mais, certaines de ces forces de la «gauche» n’ont pas été capables de se hisser à la hauteur de la nouvelle situation. Elles continuent à vouloir se cramponner à un ordre du jour de réformes des institutions européennes qui a été largement discrédité par les événements de l’été 2015. Cela vaut bien entendu pour le PCF, et cela explique la rupture de fait du «Front de Gauche», mais cela vaut aussi pour les «frondeurs» du Parti «Socialiste». Ces derniers, de Benoît Hamon à Arnaud Montebourg, conservent le discours traditionnel de la «gauche», soit la volonté de changer de l’intérieur et pas à pas les institutions européennes. Or, pour qu’un tel projet ait un minimum de crédibilité, il faudrait faire la preuve qu’il y a une majorité au sein des autres pays de l’UE qui puisse porter ce projet de manière cohérente. Ici, poser une telle question équivaut à y répondre. On mesure ici l’importance centrale de la question de la souveraineté, car de cette notion découle la possibilité de la démocratie et donc d’un choix social. De ce point de vue, la position de Jean-Luc Mélenchon, qui entend faire de l’élection présidentielle un «référendum» sur les traités européens apparaît comme bien plus cohérente. Mais, cette position souffre elle aussi d’une incohérence interne : comme gérer les rapports avec le reste de la mouvance souverainiste, qui est implicitement convoquée à cette consultation.
Pour l’heure, Jean-Luc Mélenchon reste sur une position de dénonciation claire des institutions européennes, mais ne va guère plus loin
Pour l’instant, la seule réponse proposée par Jean-Luc Mélenchon est un ralliement de tous les souverainistes à son étendard. Fort bien, mais pour que ceci ait une quelconque crédibilité, il faudrait que Mélenchon adopte une position précise et ferme sur le cas où ce «référendum» aboutirait de fait à un vote de rupture. Or, non seulement sa position manque de clarté sur ce point, mais il souffre bien entendu de la comparaison avec Alexis Tsipras qui, lui aussi, avait adopté un discours très durs vis-à-vis des institutions de la zone Euro, mais qui, mis au pied du mur, préféra trahir et capituler. Jean-Luc Mélenchon ne peut espérer échapper à cette comparaison avec Tsipras et il doit fournir les arguments convaincants qui permettront qu’on lui fasse confiance. Faut de cela, il devra se poser le problème de l’alliance avec les autres forces souverainistes, et à la fin des fins, celle de la constitution du «front de libération nationale» incluant des forces qu’il combat aujourd’hui. Cela implique bien sûr de faire la critique d’un sectarisme certain dont le Parti de Gauche n’a pas été exempt, mais cela implique surtout de penser politiquement dans quel cadre pourrait se réaliser ce «front de libération nationale».
Pour l’heure, Jean-Luc Mélenchon reste sur une position de dénonciation claire des institutions européennes, mais ne va guère plus loin. Assurément, cela vaut bien mieux que le discours des «frondeurs», mais on peut en mesurer néanmoins les limites.
La situation politique après les attentats
Ces limites sont aussi mises en évidence par le changement dans la situation politique provoqué par la multiplication des actes terroristes sur notre sol. C’est ce qui explique que ce qui aurait dû n’être qu’un débat secondaire, le débat sur la «burqa de bain» ou «burkini», ait pris l’ampleur qui fut la sienne depuis cet été. Ici, il convient de remarquer que tous les discours que l’on entend à gauche selon lesquels cette question serait en réalité une «diversion», prouvent surtout qu’une large partie de la gauche n’a pas tiré les leçons des attentats de 2015 et de 2016. La cécité sur ce point d’une partie des forces politiques apparaît comme effrayante.
Il est urgent de rappeler qu’en République il n’est pas de lois supérieures aux lois humaines, même si on peut débattre et faire évoluer ces lois
En se retirant du débat, en n’osant pas affronter de plain pied la question de ce qu’est une identité nationale, la gauche se décrédibilise aux yeux de nombreux français. Elle le fait d’autant plus que le discours tenu par la soi-disant «gauche» de gouvernement apparaît comme l’exact négatif du discours identitaire qui est tenu par un Eric Zemmour (entre autres). Là où Zemmour affirme que l’Islam est identique à l’islamisme, proposant donc de mettre au banc de la société plusieurs millions de français en réduisant des individus à une croyance religieuse, le discours du gouvernement (et d’une partie de la droite) répond que le principal danger est «l’islamophobie», sans voir que derrière ce terme se profile une mise hors cause de TOUS les comportements possibles, et va rendre illisible le combat contre le djihadisme et ses deux courants, le courant fondamentaliste (salafiste) et les courants de l’islam politique qui aujourd’hui testent systématiquement les institutions de la République. On sait, d’ailleurs, que cette position d’une partie de la « gauche » comme de la droite, est dictée par des considérations clientélistes.
Il est urgent que les forces de gauche précisent leurs positions, et sortent du rêve qu’elles entretiennent sur la situation politique actuelle
Ces deux discours participent à égalité du désarmement de la République et de l’abandon de la notion de «bien commun», ce qui n’est que le prélude à la guerre civile. Il est au contraire urgent de tenir un discours qui distingue l’identité politique qui doit être unique de l’identité culturelle qui est le produit de l’histoire des individus. Il est urgent de rappeler qu’en République il n’est pas de lois supérieures aux lois humaines, même si on peut (et on doit) débattre et faire évoluer ces lois. Il est urgent de rappeler que la politique n’a pas à être dictée par des principes religieux qui sont des ferments de division. Il est urgent de rappeler que la laïcité se fonde sur la séparation de la sphère publique et de la sphère privée, et que la liberté des individus dans leur sphère privée s’accompagne d’obligations précises dans la sphère publique.
Si la gauche manque ce débat, si elle prétend que ce débat n’est pas aujourd’hui un débat fondamental pour la République, elle se mettra hors-jeu dans le débat de l’élection présidentielle. Or, si elle abandonne ce terrain à ses adversaires, elle portera une part de responsabilité importante dans la construction d’un cadre de débat qui sera polarisé par l’opposition entre le courant identitaire et le courant qui nie la pertinence de la notion d’identité.
Il est donc urgent que les forces de gauche précisent leurs positions, et sortent du rêve qu’elles entretiennent sur la situation politique actuelle pour se poser avec lucidité et honnêteté la question des alliances autour du combat pour la souveraineté populaire et de l’identité politique française, car ces deux combats sont fondamentalement les mêmes.
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Source : russeurope.hypotheses.org
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