Devoir se soumettre à une primaire pour un président sortant c’est un signe de faiblesse, estime le professeur des sciences politiques de l' University College de Londres, Philippe Marlière.
RT France : Pourquoi le PS a-t-il décidé d’organiser ces primaires ? Pensez-vous que le procès qu’ont fait les trois membres du PS a changé la donne ?
Philippe Marlière (P. M.) : Franchement je ne crois pas que ce soit la raison essentielle. C’est quelque chose de très mineur dans une longue saga qui a commencé avec l’organisation des primaires ouvertes à toute la gauche. Ça n’a pas abouti puisqu'il y avait dans la gauche radicale des personnes qui ne pouvaient pas y participer comme Mélenchon, il y en avait d’autres qui sont venus en observateurs et qui se sont retirés, dernièrement c’est le Parti communiste. Il y a quelques semaines, auprès de la direction du Parti socialiste, il y avait l’idée qu’on espérait plutôt ne pas avoir de primaires du tout.
Le problème est que Hollande continue sa chute dans les sondages, sa politique est de plus en plus contestée dans la rue avec les mouvements sociaux contre la loi El Khomri, donc il est en train de vraiment toucher le fond, politiquement il ne peut pas aller plus bas. Donc il y avait un risque et c’est ce qui explique le revirement de l’organisation d’une petite primaire – c’est-à-dire qui soit réservée aux dirigeants du PS avec les organisations satellites comme le Parti radical et peut-être certains Verts qui sont au gouvernement.
C’est une façon de relancer, de relégitimer François Hollande qui en a besoin auprès de l’électorat de la gauche modérée parce que le désaveu de sa personne et de sa politique était tellement grand qu’il y avait un risque que si on faisait le lien, il soit incapable auprès de ses propres électeurs socialistes, de pouvoir dire : «Voilà je me présente sans passer par les primaires.» Il n’a plus cette légitimité. Evidemment dans la presse française certains proches de Hollande ont dit que c’était un coup de génie. Je crois encore que c’est un signe de faiblesse, de devoir passer par une primaire alors que le président ne pouvait certainement pas la faire.
On ne voit pas aujourd’hui qui pourrait venir contester la place à François Hollande
RT France : En janvier Manuel Valls disait que «le président sortant n’a pas à se soumettre à une primaire», maintenant il dit qu’il n’y a «rien de dévalorisant à retourner devant les Français à défendre ses idées et à expliquer son action». Pourquoi Manuel Valls a-t-il changé d’avis ?
P. M. : Il a effectivement complètement changé d’avis parce qu’il suit la ligne. Donc au début la ligne était de dire que Hollande n’a pas à se représenter, mais maintenant il faut dire l’inverse parce que Hollande en a décidé autrement pour se relégitimiser auprès de l’électorat.
RT France : Le Parti communiste dénonce «l'opération politique qui sert à sauver le candidat Hollande». François Hollande a-t-il une chance de se faire élire pendant les primaires ?
P. M. : Cela dépend des conditions mais évidemment le dirigeant du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadelis, va tout faire pour que s’il se présente, les conditions soient réunies pour que François Hollande gagne. Ce n’est pas impossible parce qu’il y a dans les primaires une dimension personnelle où les électeurs vont avoir tendance à voter pour celui qui a déjà l’expérience. Effectivement, dans un panel de candidats où il n’y a pas vraiment de pointures importantes, ce qui semble être le cas cette fois-ci. Mis à part Arnaud Montebourg, on ne voit pas aujourd’hui qui pourrait venir contester la place à François Hollande.
D’une certaine manière cette primaire serait plus fermée que la précédente, où il y avait quand même des poids lourds importants, Martine Aubry, François Hollande, Arnaud Montebourg et Manuel Valls, qui a fait un très mauvais score. Il y avait aussi Ségolène Royal qui avait été la candidate socialiste de la fois précédente. Il y avait un panel de choix important, sans Strauss Kahn, cela suivait l’affaire à New York donc tout à coup cela avait rebattu le jeu de cartes. Cette fois-ci, présenter à côté de François Hollande des candidats qui ne sont pas bien connus, la tendance sera que les électeurs choisiront celui qu’ils connaissent malgré tout, malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, on va choisir la sécurité.
Mélenchon est en apparence fort, mais auprès d’une petite fraction de l’électorat de Gauche
RT France : Dans un récent sondage, Jean-Luc Mélenchon devançait François Hollande. Pourquoi alors refuse-t-il de participer à cette primaire où il a des chances de gagner ?
P. M. : Il y a dans l’aile gauche, qui est maintenant assez petite, une personnalité qui s’appelle Gérard Filoche qui est pour une primaire ouverte à tout le monde sans exception. Il dit «si nous voulons battre la droite et l’extrême droite, il faut qu’il n’y ait qu’un seul candidat socialiste». D’un point de vue arithmétique, il a raison. Si vous avez Hollande, Mélenchon et d’autres candidats de gauche, vous êtes sûr que la gauche va être éliminée, parce qu’il y aura une dispersion des voix de gauche étant donné que la gauche est faible aujourd’hui.
Pourquoi Mélenchon n’y va pas ? Parce qu’il a peur et qu’il est en théorie contre les primaires, il dit que c’est un jeu de cire, que ce n’est pas sérieux et que cela personnalise le débat. S’il était assuré de gagner, il irait. S’il perd, il devra accepter que le candidat qui gagne soit son candidat, ce qu’il ne veut pas. Mélenchon veut absolument pouvoir participer au premier tour de l’élection présidentielle et il ne veut pas avoir à soutenir Hollande.
RT France : Est-ce que Jean-Luc Mélenchon battrait Hollande dans une primaire de gauche ?
P. M. : C’est très difficile d’y répondre. A priori on pourrait penser que oui, puisqu’elle serait ouverte à tout le monde. Tous les électeurs de gauche pourraient voter pour lui mais parfois, peut-être que Mélenchon n’est pas aussi populaire que cela auprès de tous les électeurs de gauche. On a l’impression quand on va sur les réseaux sociaux en France que Mélenchon est très fort et très populaire dans la gauche, mais il est surtout populaire auprès d'une partie radicalisée de la gauche, des gens assez politisés. D’abord, il n’a plus de bons rapports avec le Parti communiste, il a divisé la gauche. Mélenchon est en apparence fort, mais auprès d’une petite fraction de l’électorat de gauche. C’est pourquoi il n’est pas sûr qu’il gagnerait une primaire de toute la gauche.
En tant que candidat c’est différent, vous pouvez refaire des promesses
RT France : Jean-Pierre Raffarin a déclaré que Hollande signe la manifestation de son échec. Etes-vous d’accord ?
P. M. : En termes d’image ce n’est pas sûr qu’un président sortant qui va redescendre dans l’arène comme un simple candidat va pouvoir gagner. Effectivement c’est un signe de faiblesse. Il y en a qui disent qu’il y a deux avantages à cela. Le premier est que François Hollande a un peu fait oublier qu’il est président, je ne sais pas s’il y parviendra mais il va redescendre de façon soi-disant humble et modeste, il va redescendre dans l’arène. Il va dire «je ne suis qu’un candidat». Une entrée en tant que candidat c’est différent, vous pouvez refaire des promesses, mais ce sera effectivement quand même dur d’échapper aux questions sur le président : «Vous avez présidé, qu’est-ce que vous avez fait ?» Mais il espère effectivement se ressourcer de cette façon. De ce point de vue-là, il peut arriver à noyer le poisson.
L’autre raison pour laquelle on peut aussi dire que c’est un signe de faiblesse, c’est que les statuts du Parti socialiste obligent à l’organisation d’une primaire. Hollande peut dire qu’il accepte de se soumettre aux statuts, sauf qu’il y a quelques semaines encore il ne voulait pas le faire. Il était prêt à négliger les statuts. A ce niveau-là il y a des promesses que l’on fait et que l’on ne tient pas, il y a des statuts que l’on respecte, d’autres que l’on ne respecte pas. Ce qui importe c’est la fin, c’est l’objectif, c’est-à-dire pouvoir se présenter et gagner. Donc on voit que c’est un long parcours pour Hollande, très compliqué. En définitive, je pense que, comme Jean-Pierre Raffarin le dit, devoir se soumettre à cette primaire pour un président sortant c’est plutôt un signe de faiblesse.
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