Le tribunal pour le Kosovo sous la pression d'un «puissant groupe de personnes», selon le procureur
Jack Smith, procureur du tribunal pour le Kosovo, a dénoncé «un petit mais puissant groupe de personnes» qui tentent d'entraver les investigations, notamment en faisant pression sur des témoins, alors que deux nouveaux procès viennent de débuter.
Le tribunal spécial pour le Kosovo (KSC) est-il dans les meilleures conditions pour effectuer son travail d'enquête concernant les crimes présumés commis par l'UCK – organisation paramilitaire indépendantiste albanaise du Kosovo classée jusqu'à la fin des années 1990 comme terroriste par les Etats-Unis – lors du conflit avec la Serbie de mars 1998 à juin 1999 ?
Ce n'est en tous cas pas ce qu'a laissé entendre, dans un communiqué diffusé le 16 octobre, Jack Smith, procureur de cette juridiction du Kosovo composée de juges internationaux et basée à La Haye, qui a mis en doute la capacité de l’institution à protéger au mieux les personnes voulant y témoigner, celles-ci étant régulièrement soumises à des pressions et menaces.
Le procureur du KSC regrette un «climat d'intimidation»
D'après le procureur : «Il y a un petit mais puissant groupe de personnes au Kosovo qui ne veut pas que cette Cour existe et qui ferait n'importe quoi pour saper [sa légitimité], dans une vaine tentative de sauvegarder une représentation faussée des faits, selon laquelle aucun soldat de l'UCK n'a commis de crime pendant la guerre.»
Jack Smith a fait cette déclaration le 7 octobre, selon le communiqué, lors de l'ouverture du procès de Hysni Gucati et Nasim Haradinaj, deux hauts responsables d'une organisation d'anciens combattants de l'UCK. Ils sont accusés d'avoir intimidé des témoins.
Pour le procureur, les deux hommes appartiennent à ce groupe qui cherche à faire obstacle à la justice. Selon lui, Ils «dénigrent toute personne coopérant» avec le KSC, les qualifiant d'«espions», de «collaborateurs» et de «traîtres». L'accusation devrait commencer à présenter ses éléments de preuve ce 18 octobre.
Jack Smith a également dénoncé le «climat d'intimidation des témoins et d'interférence avec les procédures qui existent dans les affaires pénales contre d'anciens membres de l'UCK». «Ce climat a fonctionné dans le passé pour empêcher les témoins de venir au tribunal et de dire ce qu'ils savaient sur les crimes de l'UCK [...] Les accusés connaissent bien cette histoire et espéraient utiliser la même stratégie ici pour intimider les témoins car cela avait fonctionné dans le passé», a-t-il ajouté.
De nombreux hauts responsables de l'UCK inculpés
Créé en 2015, le KSC avait mis plusieurs années avant d'inculper des hauts responsables de l'UCK en place pendant le conflit. Après Ramush Haradinaj, qui se revendiquait alors Premier ministre du Kosovo, en juillet 2019, le président autoproclamé de la région, Hashim Thaçi, avait démissionné le 5 novembre 2020, après avoir été inculpé par le KSC suite aux accusations de crimes de guerre et contre l’humanité qui pèsent contre lui.
Hashim Thaçi est accusé par le tribunal spécial de «crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, y compris meurtre, disparition forcée de personnes, persécution et torture». Il s'était dit prêt lors de son inculpation à «collaborer étroitement avec la justice».
Le KSC a également lancé plusieurs procédures contre d'autres représentants comme Kadri Veseli, ancien patron du renseignement de l’UCK et actuel président du Parti démocratique du Kosovo (ancienne branche politique de l’UCK), dont le fondateur n’est autre qu’Hashim Thaçi, mais également contre Jakup Krasniqi, ancien porte-parole de l’UCK, qui avait été arrêté à Pristina et transféré à La Haye en novembre 2020.
Fin septembre 2020, un ancien commandant de l'UCK, Salih Mustafa, avait été le premier suspect à comparaître devant le tribunal spécial pour répondre à des accusations de meurtre et de torture. Ajourné, son procès reprendra le 2 novembre à 9h30.
La guerre du Kosovo a fait plus de 13 500 morts et s'est soldée par une campagne de bombardement de 78 jours sur la Serbie menée par l’OTAN – sans l’aval des Nations unies – forçant l’armée serbe à se retirer de la région pour en remettre l’administration à la Force pour le Kosovo (KFOR).
Le Kosovo, qui a déclaré unilatéralement son indépendance en 2008, est reconnu par les Etats-Unis et bon nombre de pays occidentaux, mais pas par la Serbie, la Russie, la Chine, l’Inde ou encore l’Espagne.