Dans la deuxième partie de son analyse de la crise vénézuélienne, le journaliste Romain Migus explore les manœuvres de Washington pour tenter de faire se retourner l'armée contre le gouvernement légitime de Caracas.
L’alliance civico-militaire est un des piliers de la révolution bolivarienne. Elle puise ses sources dans l’histoire de l’indépendance du Venezuela, et amène les forces armées à jouer un rôle primordial dans la vie politique de la nation. Les appels du pied de l’opposition aux militaires pour tenter de renverser Hugo Chavez, puis Nicolas Maduro, ont été récurrents depuis l’avènement de la révolution bolivarienne en 1999. L’armée est l’objet de toutes les attentions et de toutes les convoitises.
Depuis 2002, de nombreux anciens militaires, généralement corrompus, ont pu être captés par l’opposition ou se sont soustraits à la justice de leur pays en devenant des informateurs des Etats-Unis. Avec l’autoproclamation de Juan Guaido comme président, les soldats vénézuéliens sont devenus une cible prioritaire des Etats-Unis. A quel commandant en chef les forces armées vont-elle se rallier dès lors qu’il y a, en apparence, deux présidents de la République ?
Dès le 18 janvier 2019, l’opposition lance l’opération Amnistie. L’Assemblée nationale, en outrage judiciaire et dont les décisions sont nulles et non avenues, approuve une loi d’amnistie pour les militaires qui reconnaitraient Juan Guaido comme président. Les autres s’exposeraient à des représailles judiciaires, et aux sanctions de Washington. Les militants de l’opposition et les médias privés se rendent aux portes des garnisons pour harceler les soldats vénézuéliens. Peine perdue.
C’est le 23 février 2019 que va se jouer un tour de force contre les membres des forces armées. Cette date avait été retenue par les Etats-Unis et leurs alliés vénézuéliens pour faire passer en force un convoi «d’aide humanitaire». Les 20 tonnes proposées étaient dérisoires si on les compare aux importations de nourriture et de médicaments réalisés par le gouvernement vénézuélien. Mais le but de l’opération était autre. Il s’agissait de tester la loyauté des forces armées.
L’armée est la garante de la défense de la souveraineté du territoire. La frontière ayant été fermée par le gouvernement bolivarien, l’entrée des «convois humanitaires» aurait signifié le refus des militaires d’obéir à leur commandant en chef, le président Nicolas Maduro. A la fin de la journée, les ennemis du Venezuela bolivarien ne pouvaient que constater que l’ensemble des militaires était resté fidèle à la Constitution et au gouvernement légitime. Ce qui ne manquera pas de provoquer l’ire de Mike Pence, le vice président des Etats-Unis contre Juan Guaido.
Pour appuyer cette offensive, l’opposition a fait circuler de nombreux appels à la désertion, promettant même 20 000 dollars à chaque soldat qui abandonnerait le gouvernement légitime. La récompense augmentant selon le grade. Cette opération avait un but précis : construire médiatiquement l’image d’une armée de vénézuéliens prête à en découdre avec le président Maduro. Une sorte «d’Armée Vénézuélienne Libre», construite sur le modèle déjà testé en Syrie.
Selon les chiffres les plus optimistes de l’opposition, à peine 0,2% des forces publiques de sécurité et de défense a déserté. Il n’y a eu aucune désertion collective, aucun commandant de troupes avec son bataillon n’a répondu positivement à l’appel de Juan Guaido. Ces désertions individuelles ont toutes été motivées par l’appât du gain et non par la volonté politique de renverser le gouvernement bolivarien ; encore moins par le désir de mettre son pays à feu et à sang. En effet, la plupart des militaires qui pourraient revenir se battre sur le sol de leur patrie ne sont pas nombreux, et ont fui le Venezuela depuis longtemps. Mais l’objectif recherché tient plus à la construction médiatique d’une armée vénézuélienne luttant pour la «liberté dans son pays» qu’à sa réelle constitution. Cette armée fantoche permettrait d’accréditer la thèse d’une «guerre civile», et rendrait légitimes de possibles ingérences militaires étrangères, à la demande de ces «militaires vénézuéliens».
Les récents déserteurs ont pu expérimenter à leurs dépens cette stratégie. Alors qu’on leur avait promis monts et merveilles s’ils trahissaient leur patrie, ceux-ci se retrouvèrent très vite abandonnés à leur sort dans la zone frontalière colombienne, allant même jusqu’à exiger le gite et le couvert à leur «président» Guaido. Pour les politiciens d’opposition, il ne s’agit ni d’un oubli ni d’une faute politique.
En les abandonnant à une misère certaine, avec l’impossibilité de retourner dans leur pays, l’opposition les précipite dans les rangs des nombreux groupes paramilitaires présents le long de la frontière, et auxquels les déserteurs commencent déjà à monnayer leur connaissance. La désobéissance dans ces structures d’extrême droite étant punie par la mort, ils n’auront d’autre choix que d’être la face vénézuélienne de ces bataillons criminelles.
Le fiasco du coup d’Etat du 30 avril 2019 a finalement participé à cette même stratégie. De nombreuses fausses informations originaires du Pentagone ont laissé croire que des hauts gradés bolivariens étaient en négociation avec l’opposition. En réalité, il est apparu que Washington et ses sbires vénézuéliens ont été dupés. Mais qu’importe, par le truchement du système médiatique international, cette défaite patente a finalement servi pour laisser croire que l’armée vénézuélienne compterait de nombreux déserteurs potentiels dans ses rangs.
Le nombre de désertions augmentera certainement au fur et à mesure que les menaces ou les hostilités des Etats-Unis grandiront. Sans pour autant fracturer l’armée bolivarienne. L’étape suivante sera alors de grossir artificiellement, via le réseau d’ONG de l’opposition, le nombre de ces désertions afin de légitimer dans l’opinion publique internationale l’existence d’une armée vénézuélienne aux ordres de Juan Guaido, et de transformer une guerre d’agression étrangère contre le Venezuela en un conflit interne. Cette construction d’une armée parallèle entre dans une stratégie de conflit institutionnel, et de substitution des pouvoirs politiques légitimes.
Dès juillet 2017, en toute illégalité, l’opposition a créé un Tribunal suprême de Justice «en exil» basé au Panama, ainsi qu’un poste de Procureur général de la nation «en exil» à Bogota. Depuis le 23 janvier, l’opposition a même constitué une présidence parallèle, avec à sa tête Juan Guaido. Ces instances fantoches essaient depuis de se substituer aux pouvoirs légitimes vénézuéliens. La lutte institutionnelle rejoint désormais le terrain militaire. Jusqu’à maintenant l’armée vénézuélienne ne s’est pas fissurée car une des ses préoccupations principales est d’éviter une confrontation interne et une guerre civile. Ce qui nous amène à nous demander qui donc formera le gros des troupes de «l’armée de Guaido» ?
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