Si le deuxième tour des législatives confirme sa très large majorité, Emmanuel Macron obtiendra, selon l'avocat Régis de Castelnau, une assemblée de novices, à la légitimité politique «voisine de zéro». Ce qui, pour lui, promet des «temps troublés».
RT France : Le chiffre qui a marqué ce premier tour des élections législatives est le niveau record de l'abstention, à 51,29%. Comment expliquer ce résultat ? Est-il de nature à minimiser la large victoire de La République en Marche ?
Régis de Castelnau (R. d. C.) : Depuis ce qu’on a appelé «l’inversion du calendrier», les élections législatives ne sont devenues qu’une confirmation du scrutin présidentiel. Les électeurs battus à cette occasion par la défaite de leur candidat s’abstiennent, laissant ceux du candidat élu donner à celui-ci un parlement lui permettant de mettre en œuvre la politique qu’il a proposée.
Ce mécanisme assez délétère a été inauguré en 1981 par François Mitterrand qui a dissous l’Assemblée nationale juste après son élection à la présidence. À cette époque le mandat présidentiel était de sept ans, est celui de l’Assemblée nationale de cinq ans. Sous la présidence de Jacques Chirac pendant son premier septennat, le mandat du président a été porté à cinq ans. En 2002, les deux élections étaient prévues pour la même année et il a été décidé que les législatives se feraient après la présidentielle. Le résultat a été d’affaiblir encore un peu plus le pouvoir législatif qui n’est devenu qu’un appendice du pouvoir exécutif incarné par le président. La mécanique qui a laissé le champ libre à La République en marche a été accentuée par le fait que le nouveau Président de la république n’est pas connu des Français et bénéficie d’un courant d’adhésion assez faible. Une grande majorité des électeurs français sont dans l’expectative et attendent de voir.
La légitimité juridique de l’Assemblée nationale nouvelle ne sera pas discutable, sa légitimité politique en revanche sera voisine de zéro
RT France : Les projections annoncent entre 390 et 445 sièges pour la majorité présidentielle. Cette majorité écrasante à l'Assemblée nationale est-elle la promesse d'un quinquennat avec peu d'opposition et d'encombre pour Emmanuel Macron ?
R. d. C. : Il est clair que si le premier tour est confirmé et qu’Emmanuel Macron se retrouve avec une majorité considérable composée en grande partie de novices, ce n’est pas à l’Assemblée nationale que les choses se passeront. C’est pour cela que l’on peut s’attendre à des temps troublés. Je crois en effet qu’une chambre à la légitimité électorale finalement assez faible soit un peu un cadeau empoisonné pour le nouveau président de la république. La légitimité juridique de l’Assemblée nationale nouvelle ne sera pas discutable, sa légitimité politique en revanche, une fois passée l’euphorie macronolâtre un peu ridicule des médias, sera voisine de zéro.
Comme à l’occasion de ces présidentielles le Front national a montré ses limites et l’inutilité qu’il y avait à voter pour lui, beaucoup de choses peuvent se produire et en particulier l’émergence d’un populisme de gauche
RT France : Entre un Parti socialiste à l'agonie, une gauche radicale désunie qui n'a pas su reproduire son bon score à la présidentielle, le Front national bien en dessous de ses attentes et les Républicains tiraillés entre la volonté de marquer une opposition et celle de travailler de concert avec la majorité présidentielle, quel est l'avenir des partis d'opposition en France ? Va-t-on assister en dehors des murs de l'Assemblée à une recomposition politique ?
R. d. C. : La victoire d’Emmanuel Macron, au-delà des méthodes utilisées qui ont finalement abouti à fausser l’élection, et aussi due à une réelle volonté de changement. La génération des baby-boomers issue des événements de mai 68 pesait lourdement sur la société française dans beaucoup d’aspects. Chez beaucoup d'électeurs, même s’ils craignent la politique à venir d’Emmanuel Macron, il y a un sentiment de soulagement à voir mis dehors tous les gens qu’on supportait depuis trop longtemps. Ce «dégagisme» a été ravageur.
Il est probable aussi que la faillite des deux grands partis qui structurent la vie politique française depuis 40 ans soit définitive. Les partis sont mortels : auparavant le Parti Radical et le PCF, organisations puissantes, ont disparu. Mais la nature ayant horreur du vide, il faut s’attendre à une recomposition politique en dehors de la sphère directe du pouvoir et sur la base de ce qui fracture aujourd’hui la société française : France d’en haut qui profite de la mondialisation et France d’en bas laissée-pour-compte. Or c’est cette dernière qui est la plus nombreuse.
Ce qu’a réussi Emmanuel Macron c’est finalement la fusion de la droite LR et de la «gauche» PS qui occupait en alternance le pouvoir mais pour y faire la même politique
Comme à l’occasion de ces présidentielles le Front National a montré ses limites et l’inutilité qu’il y avait à voter pour lui, beaucoup de choses peuvent se produire et en particulier l’émergence d’un populisme de gauche. Parce que quand on y réfléchit, ce qu’a réussi Emmanuel Macron c’est finalement la fusion de la droite LR et de la «gauche» PS qui occupait en alternance le pouvoir mais pour y faire la même politique. Cette fois-ci, c’est vraiment l’UMPS qui est aux manettes…
RT France : Cette majorité très large que s'apprête à obtenir la République en Marche tout en étant peu représentative des forces politiques françaises remet-elle en cause le mode de scrutin législatif ? Doit-on de nouveau ouvrir le débat sur un mode de scrutin à la proportionnelle ?
R. d. C. : C’est une question très délicate. La balle est bien sûr dans le camp d’Emmanuel Macron, mais après les succès ébouriffants qu’il vient d’obtenir, pas sûr qu’il ait envie d’ouvrir la boîte de Pandore en mettant en place un mode de scrutin qui l’affaiblirait. Mais en fait, le premier problème est celui du rééquilibrage des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. La constitution de 1958, pour éviter tous les excès du parlementarisme de la IVe République, avait clairement renvoyé le balancier vers l’exécutif. La question institutionnelle qui est posée va au-delà du mode de scrutin, même si celui-ci doit traiter la question de l’absence de représentation de courants importants de la vie politique française. Le problème est, je pense, que le nouveau président va bénéficier d’une cote de confiance qui peut s’avérer durable, pour la bonne raison qu’après le mandat de François Hollande qui avait vu celui-ci déshonorer la fonction, en deux ou trois occasions, Emmanuel Macron a restauré un peu de dignité. Et cela les Français y sont finalement très sensibles. C’est la raison pour laquelle, je ne vois pas la question institutionnelle être traité en priorité.
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