Ayant décidé de faire cavalier seul, Emmanuel Macron a sa chance de se retrouver au second tour de la présidentielle la plus ouverte depuis 1974, estime le chroniqueur politique David Desgouilles.
RT France : Après son meeting à Strasbourg le 4 octobre, Emmanuel Macron a été fortement critiqué à gauche comme à droite. Quelle est sa stratégie, étant donné qu’il se fait des ennemis des deux côtés de l’échiquier politique ?
David Desgouilles (D. D.) : S’il se fait des ennemis, on sait que c’est parce qu’il n’est pas dans les partis politiques en question. Il a décidé d’être un électron libre, de créer son contreparti, il l’a fait il y a quelques mois et il gêne un système partisan, c’est clair. Pour l’instant, il gêne parce qu’il est en position pour critiquer les autres partis. En plus, certains sondages lui sont quand même très favorables. Reste que les critiques ne sont pas infondées non plus. Dire «Je suis nouveau, tout neutre, les autres sont le système et moi, je ne le suis pas», c’est quand même curieux de la part de quelqu’un qui a fait toute sa carrière dans la banque, qui a fait l’ENA etc, c’est risible. Mais il arrive quand même à faire passer ses idées, une opinion différente de celles des autres et cela fonctionne. Finalement, il n’annonce pas son projet, je pense qu’il le retarde.
La politique c’est toujours rompre avec quelqu’un pour s’imposer
RT France : Emmanuel Macron a quand même été ministre dans un gouvernement de gauche. Certains dans ce camp estiment qu’il a trahi François Hollande et sa confiance. Peut-on le positionner à gauche ?
D. D. : D’un point de vue idéologique, si on est sur l’économie, il n’est pas du tout de gauche, il pourrait très bien être candidat à la primaire de droite. Il est plus libéral qu’Alain Juppé. Sur les questions de société il est plus à gauche mais sur ce point, en fin de compte, Alain Juppé est plus à gauche que son électorat. On peut donc dire qu’idéologiquement ce sont des hybrides.
Pour l’histoire de la traîtrise, je suis toujours mal à l’aise par rapport à la traîtrise en politique. La politique, c’est toujours rompre avec quelqu’un pour s’imposer, donc à un moment donné, la traîtrise dépend du côté où on est placé. Pour la trahison des hommes, je n’y crois pas. En revanche, ce qui est grave, c’est la trahison des idées. Emmanuel Macron trahit-il ses idées ? C’est cette question qu’il faut se poser. On dit que c’est François Hollande qui l’a fait et dans les faits, effectivement, il l’a nommé ministre. Il a aussi nommé Arnaud Montebourg, mais c’est Arnaud Montebourg qui avait amené François Hollande à la présidence, en le préférant à Martine Aubry lors de la primaire socialiste de 2011. Trahit-il ses idées en allant tout seul à la bataille ? Je ne pense pas, je pense qu’il reste fidèle à lui-même, il croit que les autres ne défendent pas ses idées, il y va lui-même, et de ce côté-là c’est plutôt courageux, même si je ne suis pas idéologiquement d’accord avec lui.
On ne peut pas dire qu’avoir l’appui du PS est un véritable atout
RT France : Peut-on être candidat de gauche sans l’appui du Parti socialiste (PS) ?
D. D. : Aujourd’hui, le PS est dans une telle situation que l’on ne peut pas dire qu’avoir son appui soit un véritable atout. Cela sert effectivement pour recueillir des parrainages etc. Ce n’est pas très facile et on ne sait pas si Macron va les recevoir. Il faut une machine, on peut engager plein de gens pour téléphoner aux maires alors qu'avec un parti c’est beaucoup plus facile. Dans les opinions, aujourd'hui, le PS fait 10-12%. Il sera le candidat de la gauche si jamais François Hollande ne peut pas y aller et que Manuel Valls ou Arnaud Montebourg remporte la primaire socialiste. Si au mois de février, Macron est à 16% et un cadidat PS comme Valls ou Montebourg à 9, les gens guidés par les sondages vont estimer qu'il sera le candidat de gauche le mieux placé.
RT France : Donc les sondages vont d'une certaine façon déterminer le vote ?
D. D. : Les sondages vont jouer un rôle très important. Emmanuel Macron peut aussi se dégonfler comme une bulle de savon le jour où il présentera son projet et où l'on s’apercevra qu'il n’est pas si révolutionnaire. Il y a des précedents de candidats qui étaient à 15% dans les sondages en automne et qui ont explosé en février. Par exemple, Jean-Pierre Chèvenement, qui était à 14% en novembre, est retombé à 5% en février, mais ce n'était pas à cause de son projet. Pour l’instant Emmanuel Macron va bien. Il faut attendre de voir son projet pour savoir contre qui il devra lutter, d'autant plus qu'il n'a même pas annoncé sa candidature.
Les gens ne croient plus en grand chose
RT France : Est-ce réellement possible de se faire élire sans un soutien massif d'un parti ?
D. D. : Je ne crois plus que les partis aient un rôle si important lors de l’élection présidentielle, surtout aujourd’hui, c’est tellement ouvert. Le parti, c’est important pour avoir des militants et du financement, ce qui n’est pas un problème pour lui. Et puis, c’est important pour les parrainages, lui, il a trouvé les militants qui sont motivés, il a de l'argent pour faire sa pub.
Pour différencier Juppé et Macron, il faut être un vrai analyste
Aujourd’hui en plus, tout est ouvert, parce que les gens ne croient plus en grand chose. C’est ce qui est un peu nouveau. Ils ne croient plus au système politique. Emmanuel Macron est un peu différent, si jamais il est en bonne position au mois de février et que Juppé est le candidat de la droite, les gens vont se dire qu'ils pensent la même chose tous les deux : ils ont les mêmes idées sur l’économie, l’immigration, l’Europe etc. Pour différencier Alain Juppé d'Emmanuel Macron, il faut être un vrai analyste, ce sont des gens qui veulent à peu près le même type de société.
Cette campagne est la plus ouverte depuis très longtemps, depuis 1974. En 1974, Valéry Giscard d'Estaing s'est imposé face à Jean-Jacques Chaban-Delmas, héritier du parti gaulliste. Emmanuel Macron tient un peu du Giscard de l'époque, il est jeune, il a sa chance. Le fait qu’il n’ait pas le soutien du Parti socialiste est, à mon avis, plus un avantage qu’inconvénient.
RT France : Emmanuel Macron a-t-il des chances de se retrouver au deuxième tour de la présidentielle ?
D. D. : Je ne dis pas qu’il a des chances, je dis que c’est possible. Sachant que Marine Le Pen risque fort d'être incontournable au second tour, il est quand même plus probable qu'Alain Juppé se qualifie. Néanmoins, Emmanuel Macron a une chance.
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