Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

Comme des mafieux : l’acrobatie juridique de l'UE

Comme des mafieux : l’acrobatie juridique de l'UE
Comme des mafieux : l’acrobatie juridique de l'UE (image d'illustration générée par l'intelligence artificielle)
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L’UE vient d’effectuer son deuxième versement à l’Ukraine prélevé sur les revenus des actifs russes gelés en Europe. Pour Karine Bechet-Golovko, si cela est possible, c'est que les élites mondialistes agissent conformément à la logique politique du «droit de l’ennemi». Or, la Russie est l'ennemi, et cela ne concerne pas que la question des actifs.

Lors du Xe Conseil d’association UE-Ukraine, qui s’est tenu début avril, la nouvelle responsable de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, a annoncé que la Commission européenne versera 2,1 milliards d’euros à l’Ukraine. Cette somme sera prélevée sur le revenu des actifs russes gelés

Ce versement constituera le deuxième du genre. D’un genre assez nouveau, puisqu’il s’agit d’une spoliation des biens appartenant à un État, placés dans une société privée (Euroclear) et dont dispose in fine une tierce personne (l’UE), sans l’accord et même contre la volonté du propriétaire de ces biens (la Russie). 

Plus précisément, il s’agit des obligations d’État à court terme servant de réserves nationales en devises étrangères, qui sont arrivées à terme. De ce fait, ce sont aujourd’hui des liquidités. Des liquidités, qui produisent des revenus.

Par un tour de passe-passe juridique et contre la logique du droit de propriété, l’UE a décidé de rompre le lien juridique entre le bien lui-même et ses fruits. Elle a ainsi opéré une révolution dans la définition du droit de propriété, puisque logiquement, sauf décision contraire dûment actée du détenteur du droit de propriété, ce droit s’étend naturellement aux produits de ce bien.

Démarche anti-juridique, anti-étatique

C’est un peu comme si vous aviez une entreprise et que l’on vienne vous dire : tu restes formellement le propriétaire, mais nous récupérons les bénéfices. Pourquoi ? Simplement parce que tel est notre bon plaisir. Qui se comporte ainsi d'ordinaire ? Oui, les mafieux.

Or, c’est ainsi que se comportent les élites mondialistes. Comme des mafieux. Dans une démarche anti-juridique, anti-étatique et profondément anti-russe, mais qui peut à l’avenir concerner tout État qui ne jouerait pas selon leurs règles. 

Aucune institution ne peut légaliser une telle démarche. Aucune décision de justice nationale ne peut légaliser cette spoliation. Aucune juridiction internationale ne peut légitimement prendre une telle décision, tant que le conflit militaire n’est pas terminé et qu’il n’est pas question de déterminer les réparations de guerre. Ces réparations sont estimées par les vainqueurs contre les vaincus. Il n’y a à ce jour ni vainqueurs, ni vaincus.

Ainsi, la décision d'utiliser les fruits des actifs russes gelés n’est pas juridique, elle est politique. Comme la décision de geler les actifs russes eux-mêmes. Les règles de droit, existant dans le cadre de l’état de droit, les garanties processuelles, les protections juridiques, ne s’appliquent pas à « l’ennemi ». L’ennemi est soumis à un droit particulier, dit « le droit de l’ennemi », qui doit permettre de le mettre en situation défavorable, de l’affaiblir afin de donner l’avantage à l’autre, puisque dans cette logique le droit est une arme comme un autre. Le droit devient l'un des éléments du conflit. 

La Russie, pour les élites globalistes, qu’elles soient en Europe ou aux États-Unis, est l’ennemi. Position, qui par ailleurs n’est pas pleinement partagée par la Russie à leur égard. Ce qui n’empêche pas le combat d’avoir lieu, mais restreint les possibilités de la Russie, qui se prive ainsi de certaines armes.

Ce droit de l’ennemi n’est en vigueur que sur le territoire contrôlé par ces forces. Ainsi en est-il en ce qui nous concerne des structures mondialistes et du territoire du Monde global, somme toute limité. Les organes internationaux mettent en œuvre cette logique, puisqu’ils ont cessé d’être « inter-nationaux » (entre les Nations, entre les États), pour devenir des organes de gouvernance globale. Les gouvernements des États où les élites globalistes exercent un pouvoir sans partage, comme en Occident, sont les courroies de transmission de ces mesures.

La France, suiviste du Monde global

L’on se souviendra par exemple de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 15 février 2024 et intitulée « Proposition de résolution, relative à l'utilisation des avoirs russes gelés au profit de l'effort de guerre et de la reconstruction de l'Ukraine ». Tous les éléments du droit de l’ennemi y étaient déjà présents : la Russie est « l’agresseur », puisque l’histoire réécrite pour les besoins de la cause n’existe pas avant février 2022 ; la guerre est prévue pour durer... contre la Russie, il faut donc la financer et c’est à « l’agresseur » d’en assurer le coût ; la « justice » est au-dessus du droit en vigueur, tant interne qu’international, qui ne peut être invoqué par l’ennemi. 

Ainsi, peut-on lire dans le préambule : « Ces avoirs russes gelés représentent une manne financière importante qui doit être mobilisée pour le soutien et la reconstruction de l’Ukraine. L’utilisation des avoirs russes gelés, au profit de l’Ukraine, est guidée tant par le souci du pragmatisme que par celui de la justice et de la responsabilité internationale. Ce sont les responsables de cette guerre injustifiable qui doivent en payer les conséquences, et prendre en charge la reconstruction. ».

En ce sens, la France suit d’autres pays du Monde global comme la Belgique ou le Canada, ce que souligne la proposition de loi. La décision n’est pas juridique, elle est même d’un nihilisme juridique total, et cela aussi est revendiqué par les auteurs : « À cet égard, les auteurs de cette proposition de résolution rappellent la nécessité de ne pas s’abriter derrière des arguments juridiques et de s’engager pleinement dans l’utilisation des intérêts sur les avoirs, et à créer les conditions de la mobilisation des 200 milliards gelés sur le territoire de l’Union européenne. ».

Cela fut réalisé, les instances européennes ne s’embarrassent plus de la logique juridique, elles se sont créées un autre monde, beaucoup plus confortable – à court terme. Mais si l’UE utilise déjà les revenus des actifs russes gelés, se pose désormais la question de l’utilisation des actifs eux-mêmes. L’acrobatie juridique est ici impossible.

«L’ennemi doit être détruit»

Les élites mondialistes peuvent décider d’utiliser ces actifs –  et en principe si la Russie ne capitule pas devant Trump, il y a de fortes chances pour que cette décision soit bientôt prise, comme Trump l’a annoncé lui-même. Mais il sera impossible de cacher cette démarche strictement politique derrière un pudique voile de légalité. 

Les périodes de conflit sont toujours des périodes de nihilisme juridique, cette guerre ne fait pas exception à la règle. Et ce qui vaut pour la régulation juridique des actifs russes vaut pour tout autre accord entre les parties au conflit. Puisque ce conflit est encore en cours, la figure de l’ennemi est toujours présente. Ainsi, ces accords, comme nous le voyons au quotidien, ne valent que tant que les parties sont en mesure d’en imposer le respect ou en ont la volonté. Sinon, ils disparaissent ou deviennent contre-productifs, c’est-à-dire unilatéraux, comme dans le cas du moratoire des tirs sur les sites énergétiques unilatéralement appliqué par la Russie. 

Le droit permet bien alors de fragiliser l’ennemi et non plus, comme en temps de paix, de réguler un rapport entre deux sujets. Le paradigme a changé, l’ennemi n’a pas de droits, car l’ennemi doit être détruit. Telle est bien la position des élites globalistes face à la Russie. Des élites qui, par fanatisme, entraînent dans leur chute le monde qui était le nôtre.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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