Grenoble : 130 policiers demandent une rupture conventionnelle, mais l'obtiendront-ils ?
Selon France 3, au moins180 policiers voudraient quitter la police nationale dans l'Isère après les propos d'Emmanuel Macron lors de son interview. Coup de bluff syndical ou vrai désespoir des fonctionnaires ? Décryptage.
Selon les informations de France 3, 180 fonctionnaires de l'Isère, dont 130 rien que pour l'agglomération de Grenoble, auraient demandé à quitter la police nationale en bénéficiant d'une rupture conventionnelle.
Et la télévision publique de citer deux responsables syndicaux de l'Isère : «Le président lâche les policiers [...] 180 policiers en Isère, 130 à Grenoble. Comment va-t-on faire pour assurer la sécurité de tout un chacun ?», s'interroge ainsi Yannick Biancheri, secrétaire départemental de l'Isère pour Alliance-Police nationale.
Tandis qu'un délégué départemental d'Unité-SGP-FO, Brice Gajean souligne : «On veut des gestes, on veut des actions, on veut des lois, des règlements qui protègent le flic.» Puis, le premier de renchérir : «On veut une peine minimale pour toute agression de policier.»
Les engagements de Dupond-Moretti ont déjà été traduits dans la PPL Sécurité globale
Etonnante revendication de la part de deux partenaires sociaux dont les deux secrétaires généraux ont pourtant été reçus à l'Elysée le 15 octobre pour porter leurs demandes, quelques jours avant que la proposition de loi relative à la sécurité globale ne soit redéposée par la majorité à l'Assemblée nationale.
Ce jour-là, selon plusieurs sources contactées par RT France, le garde des Sceaux, qui était présent à cette rencontre (mais qui n'a pas invité les syndicats policiers à son ministère de la place Vendôme), a exposé les engagements de la part du gouvernement au sujet des agressions à l'encontre des fonctionnaires après les avoir charmés avec un petit discours sur son amitié méconnue pour les membres des forces de l'ordre.
Eric Dupond-Moretti a ainsi annoncé la volonté de l'exécutif de mettre fin aux réductions de peines automatiques lorsque le mis en cause aura été condamné après une agression de policier, de gendarme ou de pompier... Petite subtilité, mais non des moindres : cette suppression de la remise de peine était toutefois conditionnée à l'appréciation du juge.
Et effectivement, dans la proposition de loi de la majorité sur la sécurité globale, au titre IV concernant les dispositions relatives aux forces de sécurité intérieure, l'article 23 propose : «Après l’article 721‑1‑1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 721‑1‑2 ainsi rédigé : les personnes condamnées à une peine privative de liberté pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux articles 221‑4, 222‑3, 222‑8, 222‑10, 222‑12, 222‑13, 433‑3 du code pénal ne bénéficient pas des crédits de réduction de peine mentionnés à l’article 721 du présent code, lorsque ces infractions ont été commises au préjudice d’une personne investie d’un mandat électif public, d’un militaire de la gendarmerie nationale, d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un sapeur‑pompier professionnel ou volontaire. Elles peuvent toutefois bénéficier d’une réduction de peine dans les conditions définies à l’article 721‑1.»
La seule vraie façon de quitter la police sans qu'on vous mette des bâtons dans les roues, c'est triste à dire, mais c'est le suicide
Ladite proposition de loi, ayant provoqué l'ire que l'on sait autour de l'article 24, semble bloquée entre deux navettes parlementaires pour le moment et son application pourrait n'intervenir que d'ici de longs mois après son passage par le Sénat.
Les policiers militants craignent-ils que ces dispositions ne soient jamais adoptées ? Ou bien n'ont-ils pas été informés de la négociation syndicale qui a eu lieu en amont de la PPL relative à la sécurité globale entre le gouvernement et leurs syndicats ?
Pour expliquer ce mouvement de grogne, France 3 ne fait allusion qu'aux propos d'Emmanuel Macron lors de son interview sur le média en ligne Brut, le 4 décembre, lorsqu'il avait déploré les violences dans la police nationale, ainsi que les supposés «contrôles au faciès».
La rupture conventionnelle de ces fonctionnaires a-t-elle des chances d'aboutir ?
Par ailleurs, concernant la modalité de sortie de l'institution de la police nationale par ces fonctionnaires en colère de l'Isère, France 3 précise qu'ils ont demandé une rupture conventionnelle. Coup de bluff ?
Il est notoire en police nationale qu'il est très difficile d'obtenir une rupture conventionnelle auprès de l'administration malgré la possibilité de le faire pour toute la fonction publique depuis le 1er janvier 2020.
Un tract du syndicat Alternative-Police publié au mois de juillet faisait part de sa «grande déception» au sujet de la rupture conventionnelle. On pouvait y lire : «Vous êtes nombreux à manifester un intérêt pour cette possibilité de quitter l’administration avec une indemnité [...]. Malheureusement, comme on pouvait s’y attendre, l’administration a précisé que les agents appartenant à un corps n’ayant pas vocation à déflater en effectifs, comme tel est le cas du CEA avec un schéma d’emploi positif, feront figure d’exception quant à un accord de l’administration. Peu de policiers en bénéficieront...»
Contacté par RT France, le policier militant de VIGI-MI, Alexandre Langlois, qui a lui-même déposé récemment sa demande de rupture conventionnelle, déplore : «La seule vraie façon de quitter la police sans qu'on vous mette des bâtons dans les roues, finalement, c'est triste à dire, mais c'est le suicide. La rupture conventionnelle devait permettre d'éviter de pousser les fonctionnaires à la faute pour se faire virer, à l'instar du privé.»
Et de dévoiler le pot aux roses : «Mais finalement, comme il n'y avait pas le budget en 2020 pour traiter ces nombreuses demandes, l'administration a trouvé la solution de n'affecter qu'une seule personne à cette mission pour toute la France. Cela fait que les demandes de collègues déposées en toute début d'année 2020 commencent seulement à être traitées. Ils repoussent sur 2021 autant que possible en fait. Et quand on veut démissionner, c'est pareil, l'administration peut refuser la demande en la reportant dans le temps !»
Le secrétaire général de VIGI-MI prévient toutefois : «Il y a un certain nombre de fonctionnaires aussi qui ont préféré reporter leurs projets de départ à une date ultérieure, quand arrivera la fin de la crise du Covid-19... Il y aura une vague de départ à ce moment-là. Il y a déjà plusieurs centaines de personnes concernées.»
Macron et la police : un bras de fer sans fin ?
Les demandes de ruptures conventionnelles de l'Isère constituent-elles donc un coup de bluff de la part des organisations syndicales, malgré le ras-le-bol palpable et réel de la base policière ? Par ailleurs, les promesses de l'exécutif aux syndicats de police les 13 et 15 octobre (respectivement à Beauvau et à l'Elysée) sont-elles en train de se retourner contre la présidence de la République ?
De surcroît, comment analyser les propos d'Emmanuel Macron lors de son entretien sur Brut concernant les forces de sécurité intérieure ? Un élément de langage qu'il avait utilisé le 15 octobre auprès des syndicalistes de la police nationale peut éventuellement expliquer la position actuelle du chef d'Etat français. A l'époque, une des personnes présentes à cette réunion du palais de l'Elysée avait expliqué à RT France : «Il a bien rappelé qu'il voulait une police "respectée" mais aussi "respectable" en expliquant que nous le trouverions derrière nous pour nous soutenir, mais qu'il ne défendrait pas n'importe quoi.»
Après l'affaire Zecler, le bras de fer continue donc entre l'exécutif et les fonctionnaires de police, malgré les avancées qui avaient été réalisées depuis l'exfiltration de Christophe Castaner de la place Beauvau, puis avec le nouveau schéma national du maintien de l'ordre, la PPL Sécurité globale et le livre blanc de la sécurité intérieure... En attendant le «Beauvau de la sécurité» annoncé pour janvier et qui devrait finir de rebattre les cartes en la matière. En tout état de cause, les mobilisations policières continuent avec un rassemblement prévu ce 14 décembre à Besançon après ceux de Paris ou Nantes, la semaine précédente.
Antoine Boitel