Carlos Ghosn, de nouveau arrêté au Japon, accuse la justice nippone de vouloir le «briser»
- Avec AFP
Selon les médias japonais, il est «extrêmement rare» qu'un suspect soit ré-arrêté après avoir été relâché : c'est pourtant bien ce qui est arrivé au magnat déchu de l'automobile, Carlos Ghosn. La veille, il s'était engagé à «dire la vérité».
Carlos Ghosn a été interpellé ce 4 avril dans la matinée à son domicile de Tokyo sur de nouveaux soupçons de malversations financières, un mois à peine après avoir été libéré sous caution : une arrestation qu'il a jugée «révoltante et arbitraire». Les enquêteurs du bureau des procureurs japonais se sont rendus au petit matin à son immeuble, devant lequel une tenture grise avait été dressée, selon des images diffusées sur les chaînes de télévision japonaises.
Une voiture a quitté les lieux moins d'une heure plus tard, avec Carlos Ghosn à son bord. Il a été plus tard conduit au centre de détention de Kosuge, près de Tokyo.
Pourquoi venir m'arrêter alors que je n'entravais en rien la procédure en cours, sinon pour me briser ?
Il est «extrêmement rare» qu'un suspect soit ré-arrêté après avoir été relâché, soulignaient les médias japonais dans la journée. Sa libération le 6 mars, moyennant le paiement d'une caution d'un milliard de yens (environ 8 millions d'euros), avait déjà surpris. Par le passé, des détentions pour des cas similaires avaient duré beaucoup plus longtemps mais l'affaire Ghosn, de par la notoriété du suspect, a jeté une lumière crue sur le système judiciaire japonais, soulevant des critiques à l'étranger. «Pourquoi venir m'arrêter alors que je n'entravais en rien la procédure en cours, sinon pour me briser ?», a lancé l'ancien magnat de l'automobile dans un communiqué transmis à l'AFP et probablement rédigé au préalable. Et d'ajouter : «Je suis innocent de toutes les accusations infondées portées contre moi et des faits qui me sont reprochés.»
«[Cette arrestation] fait partie d'une nouvelle manœuvre de certains individus chez Nissan qui vise à m'empêcher de me défendre en manipulant les procureurs», a-t-il accusé, reprenant le thème du «complot» brandi dans de précédentes interviews accordées en prison. Son avocat, Junichiro Hironaka, s'est lui aussi insurgé contre les méthodes du parquet : «Nous ne comprenons pas pourquoi ils ont besoin de le placer en détention. [...] C'est extrêmement injuste.»
Prévenu quelques heures avant son arrestation qu'il serait interpellé, Carlos Ghosn a accordé un entretien à LCI dans lequel le magnat de l'automobile dénonçait un «acharnement» contre sa personne provenant d'adversaires internes de Nissan. Il en appelle au gouvernement français «en tant que citoyen pris dans un engrenage incroyable».
Il devait tenir une conférence de presse le 11 avril
Ce nouveau rebondissement dans le feuilleton qui s'est ouvert le 19 novembre avec l'arrestation surprise de celui qui était alors le tout-puissant PDG de l'alliance automobile Renault-Nissan-Mitsubishi Motors, intervient alors même qu'il avait décidé de prendre la parole pour la première fois depuis sa sortie de prison. Carlos Ghosn, 65 ans, avait annoncé le 3 avril via Twitter qu'il s'exprimerait devant la presse le 11 avril : «Je me tiens prêt à dire la vérité à propos de ce qui se passe. Conférence de presse jeudi 11 avril», écrivait-il ainsi dans un court message sur un compte certifié, qui, selon une porte-parole, est administré par ses avocats.
I'm getting ready to tell the truth about what's happening. Press conference on Thursday, April 11.
— Carlos Ghosn カルロス・ゴーン (@carlosghosn) 3 avril 2019
Déjà sous le coup de trois inculpations pour déclarations inexactes de revenus sur les années 2010 à 2018, dans des documents remis par Nissan aux autorités financières, et pour abus de confiance, Carlos Ghosn est désormais sous la menace d'une quatrième mise en examen. Le parquet le soupçonne d'avoir transféré des fonds de Nissan, pour un total de 15 millions de dollars entre fin 2015 et mi-2018, à une société «de facto contrôlée par lui».
Carlos Ghosn, de héros de manga à ennemi public numéro 1
Sur cette somme, cinq millions auraient été détournés, a précisé le bureau des procureurs dans un communiqué. «Le suspect a trahi sa fonction [de patron de Nissan] pour en tirer des bénéfices personnels», a-t-il souligné. Selon une source proche du dossier, le procédé a débuté dès 2012, portant sur une somme totale de plus de 30 millions de dollars versée à un distributeur de véhicules Nissan à Oman, montants dont une partie lui serait revenue indirectement. Il aurait notamment acheté un yacht et investi dans une société dirigée par son fils aux Etats-Unis.
Des flux financiers similaires avaient déjà été signalés la semaine précédente par Renault à la justice française, à l'issue d'une enquête interne du constructeur qui s'interroge aussi sur des dépenses opaques au sein de la filiale commune avec Nissan, RNBV, basée aux Pays-Bas. Une enquête a également été ouverte sur le financement du mariage de Carlos Ghosn au château de Versailles en octobre 2016.
Le dirigeant franco-libano-brésilien espère être blanchi après avoir été dépouillé de la présidence des trois constructeurs qu'il avait unis et hissés au premier rang mondial. Il était également devenu un personnage très populaire au Japon après avoir sauvé de la faillite le constructeur nippon Nissan. Un manga, L’Histoire vraie de Carlos Ghosn, lui a même été consacré.
Lire aussi : Emmanuel Macron s'émeut des conditions de détention «dures» de Carlos Ghosn