Face aux arrivées massives de migrants en Europe, l'exécutif français ne peut, pour l'essayiste Eric Verhaeghe, qu'avoir une «stratégie sous la contrainte», proche de la ligne rocardienne et de la politique menée ces quinze dernières années.
RT France : Quel sentiment vous inspirent les dernières déclarations du ministre de l'Intérieur Gérard Collomb sur les migrations et sa volonté de faire un tri entre les migrants économiques et les migrants politiques ?
Eric Verhaeghe (E. V.) : On voit bien aujourd'hui que la France n'a pas vraiment de stratégie migratoire, ce qui se traduit forcément par une stratégie sous contrainte. Personne ne peut dire à l'heure actuelle qu'il est facile de lutter efficacement contre les migrations quand on est une puissance continentale. La France n'est pas la plus exposée d'ailleurs, le continent européen aura du mal à contenir l'ensemble des mouvements migratoires. Il sera difficile pour la France d'expliquer qu'elle choisit de ne pas faire preuve de solidarité vis-à-vis des voisins européens comme l'Italie ou la Grèce qui sont directement confrontés au phénomène.
Emmanuel Macron et son équipe gouvernementale sont en train d'admettre qu'ils vont devoir composer avec la réalité. Quand on lit les déclarations du ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, on s'aperçoit que sous couvert d'accepter des migrants politiques, on est aussi en train d'expliquer qu'on ne va pas pouvoir réellement s'opposer à l'arrivée de tous les migrants économiques. D'autant plus que personne ne sait exactement définir ce qui relève de la migration économique et de la migration politique. Il y a souvent des cas qui sont discutables et entremêlés. Les grandes déclarations qu'on a pu entendre précédemment sont en train d'être balayées par le principe de réalité.
On va retrouver la grande politique rocardienne qui consiste à dire : «On accueille des migrants, mais pas tous et on essaie de trouver un juste milieu»
RT France : Avec ce durcissement de ton et de politique sur la question migratoire, Emmanuel Macron s'approche-t-il de la ligne défendue par une partie de la droite conservatrice et du Front national ?
E. V. : Non, le Front national est pour une ligne beaucoup plus dure sur cette question. Lorsque le gouvernement dit vouloir repousser les migrants économiques, on retrouve là une ligne proche de celle de Michel Rocard, une ligne historique de la gauche, qui consiste à dire que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais qu'elle en prend sa part.
On est obligé d'admettre aujourd'hui qu'il faut faire avec ces arrivées massives. D'autant qu'elles existent aussi très largement parce qu'on les a sollicitées, ne nous leurrons pas. Pendant toute une période, notamment à la fin du XXe siècle, la France a favorisé l'arrivée des migrants. Il est donc extrêmement compliqué d'expliquer aujourd'hui que l'on fait machine arrière et qu'on ne veut plus ce que l'on a soi-même suscité. On va retrouver la grande politique rocardienne qui consiste à dire : «On accueille des migrants, mais pas tous et on essaie de trouver un juste milieu.»
Nous aurons en permanence entre 50 000 et 200 000 immigrés qui arriveront chaque année en France et que nous essaierons d'intégrer comme nous pourrons
En réalité, ce que le gouvernement français et Emmanuel Macron sont en train d'expliquer – sans le dire clairement – c'est qu'ils vont faire comme avant et ne rien changer à ce qui existe déjà. Nous aurons en permanence entre 50 000 et 200 000 immigrés qui arriveront chaque année en France et que nous essaierons d'intégrer comme nous pourrons. Les flux historiques n'auront pas beaucoup changé par rapport à ce qu'on a connu ces quinze dernières années. Une ligne qui se situe entre celle du Front national et une politique large d'accueil des migrants.
RT France : Gérard Collomb a également déclaré vouloir reconduire tous les migrants ne répondant pas aux critères d'accession au droit de séjour ou d'asile. A-t-il réellement les moyens de mener une telle politique ?
E. V. : En partant du principe qu'un avion peut contenir 200 passagers, pour renvoyer 1000 migrants il faut cinq avions, pour en renvoyer 10 000 il en faut 50 et pour 100 000 migrants 500. Il faudrait donc au moins deux rotations par jour et encore, à la condition que la destination soit la même. Or, on est très loin aujourd'hui d'affréter des avions spéciaux pour des expulsions de territoire. On sait très bien qu'au-delà d'un chiffre extrêmement modeste, on n'est pas capable en France de renvoyer tous les migrants expulsables chez eux, d'autant que cela coûte très cher. Je vois mal la police française affréter quatre, cinq, six avions et les faire tourner tous les jours. C'est pourtant ce que cela signifierait dans la pratique si on voulait réellement expulser les migrants qui n'ont pas obtenu leurs papiers en France. Il faudrait quasiment une compagnie aérienne dédiée à cela, qui fonctionnerait tous les jours avec des lignes régulières. Or, on sait très bien qu'on ne le fera pas. On est donc face à ce constat qui est d'admettre que tout migrant qui arrive en France sans papier, dans la pratique, a très peu de risque d'être renvoyé chez lui.
On ne dit probablement pas assez que Cédric Herrou, en bout de course, est complice des mafias
RT France : Au delà de la politique du gouvernement, la question migratoire est également au cœur de l'actualité avec la condamnation en appel de Cédric Herrou à quatre mois de prison avec sursis. De quoi cette condamnation est-elle, selon vous, le symbole ?
E. V. : La réalité est qu'il y a un certain nombre de textes qui prévoient une impunité pour ceux qui aident des migrants pour des raisons humanitaires. Par exemple, si on vient en aide à un enfant dans la rue en situation irrégulière et en défaut de soin, le fait de le soigner n'est pénalement pas répréhensible en France. Ce qui rend symbolique le cas de Cédric Herrou est qu'il n'est pas dans une dispense d'aide en réaction à une situation précise, il est pro-actif. Il organise les conditions de venue d'étrangers en situation irrégulière. Il les aide à passer la frontière et à s'installer en France en dehors du cadre légal. Il y a de fait aujourd'hui une scission forte entre deux visions de l'aide citoyenne aux migrants. D'un côté, on trouve ceux qui prêtent une assistance humanitaire dans des situations souvent extrêmement compliquées d'enfants qui dorment dans la rue, de jeunes qui sont scolarisés depuis des années en France et qu'on veut renvoyer – il y a de nombreux cas de jeunes Chinois, par exemple, qu'on a voulu expulser. Dans ces cas, des Français se portent au secours d'étrangers qui ne posent pas de problèmes d'intégration. C'est autre chose de pratiquer, comme Cédric Herrou, une politique individuelle certes mais intensive d'accueil et d'aide à l'installation de migrants en situation irrégulière.
La situation est très complexe, car tout le monde sait que les migrants que Cédric Herrou aide sont arrivés en Europe par le biais de mafias et de réseaux de passeurs et que, dans une très large mesure, les mafias s'enrichissent aujourd'hui avec ce trafic d'êtres humains. On ne dit probablement pas assez que Cédric Herrou, en bout de course, est complice de ces mafias. Sous couvert de venir en aide à des étrangers en situation irrégulière, il sert d'espèce de service après-vente aux mafias qui permettent à ces pauvres gens de traverser la Méditerranée de façon illégale.
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