Algérie : deux ans de Hirak, entre espoirs de changement radical et difficultés de structuration
Porteur d'ardents espoirs, le Hirak a connu un essoufflement structurel avant d'être stoppé net par le Covid-19. Deux ans après le début de l'imposante contestation en Algérie, le bilan est mitigé. Retour sur sa genèse et ses accomplissements.
«Système dégage !» Au-delà de ce slogan commun à ce qu'il est convenu d'appeler le «printemps arabe», si l'on devait retenir deux revendications émergées des nombreuses aspirations du mouvement du Hirak en Algérie, ce serait davantage de liberté d'expression et l'instauration d'une gouvernance civile qui prime sur le militaire, omniprésent dans ce pays.
22 février 2019 – 22 février 2021 : il y a deux ans débutait un puissant mouvement populaire de protestation secouant l’Algérie toute entière, en réaction à l’officialisation de la candidature du président d'alors, Abdelaziz Bouteflika, à un cinquième mandat.
Si ce «printemps» algérien a débuté dix ans presque jour pour jour après ceux de Tunisie, d'Egypte ou de Syrie, c'est que la «décennie noire» des années 1990 qui a ensanglanté et traumatisé le pays, était passée par là. Se présentant comme le rempart contre le terrorisme islamiste, Abdelaziz Bouteflika, qui est en effet parvenu à éradiquer le gros de la menace grâce à sa politique de réconciliation nationale, a pu régner durant 20 ans sans partage. Le «tout sauf le terrorisme» a permis de canaliser les frustrations accumulées par la population algérienne, qui a longtemps craint qu'une révolte à la syrienne ne puisse faire de nouveau sombrer l'Algérie dans la tourmente de la guerre civile.
«L'obstiné bat le méchant»
Mais après des mois sans aucune apparition publique pour cause de maladie et de faiblesse physique, Abdelaziz Bouteflika avait fini par incarner aux yeux de la population un pouvoir omnipotent, à la fois autoritaire, obscur et usurpateur. Qu'il ose – ou que ses proches osent – encore une fois présenter sa candidature alors qu'il était en fauteuil roulant, peinant à produire une phrase intelligible, a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Pour le peuple algérien, c'était l'humiliation de trop.
Face à la corruption des élites et l'opacité du pouvoir, c'est en bloc que la totalité du système de gouvernance a été rejetée par des millions de manifestants, défilant régulièrement durant des mois avec comme mots d'ordre : «système dégage» et «pour un Etat civil et non militaire». Le pacifisme des mobilisations massives en est un élément clé. L'ombre menaçante des années 1990 a en effet poussé les millions de protestataires à revendiquer la non-violence comme arme de persuasion. L'expression algérienne «l'obstiné bat le méchant» (essamet yeghleb leqbih, en arabe) a pris tout son sens dans le mouvement du 22 février. C'est de guerre lasse et surtout sans casse ni morts que les manifestants comptaient l'emporter. Déterminées, les foules se sont dès lors donné rendez-vous chaque vendredi dans les rues pour chanter et scander la révolte.
Et les résultats ne se sont pas fait attendre. La puissance du souffle du Hirak a poussé, en moins de trois mois Abdelaziz Bouteflika à démissionner, et ses proches – civils comme militaires qui gouvernaient dans l'ombre, hors de tout cadre constitutionnel – ont été poursuivis, condamnés et incarcérés. De plus, le 2 juin 2019, faute de candidats et devant le rejet populaire, le Conseil constitutionnel a annulé l'élection présidentielle.
Mais pour les Algériens contestataires qui n'entendaient pas se faire duper par des effets d'annonce, ces événements pourtant spectaculaires tant ils étaient inimaginables quelques jours avant le soulèvement du 22 février, ne marquaient pas la fin du «système».
Peinant à définir précisément le système ou à s'entendre sur un projet apte à le remplacer, le Hirak s'est toutefois peu à peu dispersé. Il faut ajouter à cela les emprisonnements express de très nombreuses figures du mouvement, condamnées à de lourdes peines de prison ferme, souvent pour un post sur Facebook ou une caricature offensante.
Puis en mars 2020, l'épidémie de Covid-19 est venue stopper net un mouvement déjà en cours d'essoufflement. Car en dehors des rues où les Algériens aimaient se retrouver dans une ambiance toujours festive et bon enfant, les revendications ont peiné à s'articuler pour donner corps à un projet politique commun. Une situation qui n'est pas sans rappeler celle des Gilets jaunes en France. De nombreuses initiatives ont tout de même jailli en marge des manifestations, comme le projet de constitution de transition écrit à plus de 400 mains en vue de l'instauration d'une véritable démocratie participative, ou les débats de rue au pied du Théâtre national, devenues de foisonnantes agoras.
Un anniversaire marqué par la stagnation
Deux ans et une épidémie plus tard, l'anniversaire du Hirak est marqué par la stagnation. L'accession d'Abdelmadjid Tebboune en décembre 2019 à la présidence du pays a été source de troubles entre les partisans du mouvement. Son discours favorable à la contestation, qu'il qualifie de «Hirak béni qui a sauvé l'Algérie», en a convaincu certains, tandis que beaucoup d'autres n'y ont vu qu'une manœuvre supplémentaire dudit système. Ils en ont voulu pour preuve les emprisonnements de militants qui se sont poursuivis, additionnés à la suspension de sites d'information. La confusion et la discorde ont alors commencé à diviser les troupes du Hirak, notamment sur les réseaux sociaux, ne laissant pas beaucoup de marge à l'organisation et à l'autogestion en vue de construire un projet politique nouveau pour le pays.
Le 18 février 2021, c'est le président Abdelmadjid Tebboune lui-même qui est venu revivifier le Hirak en ordonnant la libération de plusieurs dizaines de détenus d'opinion emprisonnés pour divers motifs d'expression politique, et ce à quatre jours du deuxième anniversaire du mouvement. Parmi les libérés, le journaliste Khaled Drareni, devenu symbole de la liberté de la presse dans son pays, et l'opposant Rachid Nekkaz. Le président a également annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale et la convocation d'élections législatives anticipées en juin ainsi qu'un remaniement ministériel.
En novembre 2020, il faisait approuver par un référendum marqué par la plus forte abstention de l'histoire (76%) une révision de la constitution du pays, censée correspondre aux aspirations du Hirak. Une initiative qui est apparue bien pâle aux yeux de nombreux observateurs en ce qu'elle renouvelle le présidentialisme plénipotentiaire, ne remet pas en cause la place de l'armée dans la politique et n'institue pas davantage de démocratie participative.
Enregistrant une tendance à la baisse des cas de contaminations au Covid-19, l'Algérie a pris la décision le 14 février d'alléger certaines restrictions. Une première mobilisation rassemblant des milliers de personnes s'est tenue à Kherrata (est) le 16 février, ville où avait eu lieu la première grande manifestation locale en 2019, à cette même date. La journée du 22 février 2021, même si elle tombe en semaine, donnera le pouls du Hirak.
Meriem Laribi