Course aux armements : Poutine met en garde contre une non-reconduction du traité Start en 2021
Le président russe a déploré qu'aucune discussion n'ait été entamée entre Moscou et Washington pour prolonger le traité Start. D'après lui, les Etats-Unis détricotent depuis 2002 l'architecture de sécurité mondiale héritée de la guerre froide.
«Si personne ne veut prolonger la traité New Start, nous ne le ferons pas. Nous nous sommes déjà cent fois déclarés prêts à cela» : ce 6 juin, le président russe Vladimir Poutine a déploré l'absence de volonté, selon lui, des Etats-Unis de pérenniser le contrôle bilatéral des armes stratégiques.
Signé en juillet 1991, quelques mois avant la disparition de l'URSS, par le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev et son homologue George Bush (père), le traité Start (Strategic Arms Reduction Treaty, en anglais) a été reconduit plusieurs fois. Il a été remplacé en 2010 par le traité New Start, en vigueur pour 11 ans. «Personne ne mène de négociations avec nous jusqu’à présent. Il n’y a pas de négociations formelles, et en 2021 tout sera fini», a encore constaté Vladimir Poutine, s'exprimant en marge de la 23e édition du Forum économique de Saint-Pétersbourg.
Désengagement des Etats-Unis des traités qui garantissaient un équilibre des puissances
Le dirigeant russe a en outre rappelé que, selon lui, les Etats-Unis détricotaient depuis plusieurs années l'architecture de sécurité héritée de la guerre froide. La série des accords Start a en effet permis jusqu'à présent de maintenir les arsenaux nucléaires américains et russes bien en deçà de leur niveau des années 1970 et 1980. «J’attire votre attention sur le fait qu’il n’y aura plus aucun instrument limitant la course aux armements ou, par exemple, le déploiement d'armes dans l'espace. Est-ce que nous comprenons bien ce que cela signifie ou non ?», a martelé Vladimir Poutine.
De fait, dès 2002, les Etats-Unis décidaient de sortir d'un autre dispositif visant à éviter une course aux armements et à garantir la sécurité mondiale. Le traité ABM (Anti-Ballistic Missiles), signé 30 ans plus tôt, en pleine guerre froide, avait alors permis de mettre un terme à la course aux missiles intercontinentaux. Obligeant implicitement les trois autres grandes puissances nucléaires de l'époque – la France, le Royaume-Uni et la Chine – ce traité permettait d'assurer une certaine stabilité mondiale. «[La sortie des Etats-Unis du traité ABM] a constitué le premier pas vers la déconstruction de l'architecture des relations internationales et de la sécurité globale», a jugé Vladimir Poutine ce même 6 juin, cité par RIA Novosti.
Mais ici, comme dans d'autres domaines, Donald Trump – ou le Pentagone – semble avoir décidé, sinon de faire table rase, du moins de rebattre les cartes. Le 2 février dernier, Washington décidait de suspendre le traité INF portant sur les forces nucléaires intermédiaires (signé en 1987), prenant pour prétexte le déploiement par Moscou du système de missiles 9M729.
L'OTAN reproche à ces missiles de moyenne portée d'être en mesure de frapper les villes d'Europe en quelques minutes après avoir été tirés depuis la Russie. Donald Trump avait annoncé que les Etats-Unis allaient «mettre fin à l'accord» et développer à nouveau des armes nucléaires. Coutumier des volte-face, Donald Trump avait pourtant affiché le 3 décembre 2018 sa volonté de travailler avec la Russie, mais aussi avec la Chine, elle aussi dans le collimateur du Pentagone, pour mettre fin à une course aux armements devenue «incontrôlable».
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Nouvelle course aux armements ? Poutine dit avoir un «temps d'avance»
Quoi qu'il en soit, à la lecture de la nouvelle «Stratégie de défense nationale», dévoilée par le secrétaire à la Défense Jim Mattis en janvier 2018, les intentions des Etats-Unis sont claires. Le mois de février suivant, dans le cadre d'une nouvelle doctrine militaire, le pays s'octroyait le droit de riposter avec des armes nucléaires tactiques, même en cas d'attaque conventionnelle.
L'administration américaine voudrait-elle, à l'instar de Ronald Reagan et de son programme de «guerre des étoiles» (qui s'avéra plus tard être un coup de bluff), entraîner la Russie dans une course aux armements dont Moscou n'aurait pas les moyens ? Ce n'est pas l'avis de Philippe Migault, directeur du Centre européen d'analyses stratégiques, qui estime que le projet de militarisation de l'espace annoncé par Donald Trump est voué à l'échec. «Les Etats-Unis ne sont pas en mesure, que ce soit financièrement ou technologiquement, de réaliser un bouclier antimissile susceptible de bouleverser l’équilibre stratégique.» Et d'ajouter : «L’avantage est à l’épée. En premier lieu, sans doute, pour de simples raisons de coût.».
C'est ce que Vladimir Poutine a répété ce 6 juin, en mettant en avant les nouvelles armes hypersoniques et à portée illimitées dévoilées en mars 2018, qu'il considère comme une garantie, accords Start et INF ou non, de la sécurité de la Russie. «Nous avons un temps d'avance et on peut dire clairement que nous avons surclassé nos rivaux», a-t-il relevé. De fait, avec un budget militaire approximativement dix fois moindre, la Russie est parvenue à rétablir l'équilibre stratégique avec les Etats-Unis, rompu après la guerre froide.
Alexandre Keller