«Les points de deal restent ouverts, mais sont déserts» : le confinement impacte le trafic de drogue
Victime inattendue des mesures prises contre la pandémie de Covid-19, le trafic de drogue est fortement ralenti dans certains lieux. Tandis que riverains et policiers y voient une accalmie source de tranquillité, les dealers s'inquiètent.
Les mesures de confinement mises en place par le gouvernement français pour enrayer la propagation de la pandémie de Covid-19 impacteraient lourdement le trafic de drogues, notamment en Ile-de-France. Après un afflux massif de clients quelques jours avant et après l’annonce des mesures de confinements le 16 mars, «l'activité a ralenti, les circuits d'approvisionnement sont mis à mal et les clients se font rares», selon le quotidien francilien Le Parisien, qui se base sur plusieurs sources mêlant trafiquants, riverains et policiers.
Stupeur stupéfiante pour les dealers
«Dès l'annonce du confinement, ça a été la ruée», décrit un dealer d'herbe, qui se présente comme «semi-grossiste» dans les Hauts-de-Seine interrogé par Le Parisien. Et de poursuivre : «J'ai écoulé deux kilos en l'espace d'une journée ! Ça a commencé juste avant les annonces de Macron. Depuis, mon téléphone n'arrête pas de sonner mais ça a vite été la panne sèche. Toute la chaîne de distribution est impactée : du grossiste, au semi-grossiste jusqu'au petit livreur.»
Les livreurs seront équipés de gants et de gel pour vous simplifier la vie
C’est donc toute la logistique d’approvisionnement de drogues qui est momentanément freinée voire suspendue. A tel point que même les fournisseurs français et étrangers utilisant des applications comme Snapchat pour entrer en contact avec un champ plus large de clients, ne sont plus disponibles : «Il n’y a plus de matos, puisque tout est livré des Pays-Bas», relate le semi-grossiste des Hauts-de-Seine. Il précise également que les dealers qui continuent à œuvrer «survivent de plus en plus grâce à des stocks de haschich». Ce même vendeur d’herbe a donc souhaité mettre son activité provisoirement de côté le temps du confinement : «Les risques sont trop importants avec la multiplication des contrôles, et ceux qui les prennent vont considérablement augmenter les prix.»
Un autre aspect des circuits de vente est tout autant impacté. En effet, avec le durcissement des restrictions de déplacement, le travail des livreurs devient extrêmement compliqué et risqué. «60 euros la livraison, contre une amende de 135 euros. Le calcul est vite fait», analyse un policier pour Le Parisien. Et de continuer : «Sans les rechargeurs, le trafic "à l'ancienne" en pied d'immeuble souffre.»
D'autres choisissent de s'adapter à l'évolution du marché. A tel point que certains trafiquants préciseraient, toujours selon Le Parisien, à leur clientèle : «Les livreurs seront équipés de gants et de gel pour vous simplifier la vie.» Et de poursuivre : «Ils pourront vous faire une petite course en supermarché. Cela vous arrangera et détournera l’œil des policiers.»
«Le Covid-19 a réussi là où nous avons échoué»
Cette accalmie suscite néanmoins le soulagement de nombreuses personnes qui résident au sein de quartiers plus connus pour leurs trafics que pour la quiétude qui y règne. «On entend de nouveau les oiseaux, mais plus les cris des guetteurs. Ça ne vend plus», observe une habitante du secteur Delaunay-Belleville à Saint-Denis. Et d’ajouter : «Le Covid-19 a réussi là où nous avons échoué.» «Pas plus de quatre ou cinq mecs, et ils ne sont plus sur les points de guet», relate-t-elle ensuite. Là où une vingtaine de choufs avaient l'habitude d’entourer les immeubles du quartier, à l'affût du moindre gyrophare, policier en civil ou membre d'un gang adverse.
Satisfaction supplémentaire pour les riverains de points de vente de cannabis : les clients ont eux aussi momentanément disparu. En effet, la clientèle parisienne et plus largement des beaux quartiers ne se déplace plus en petite couronne pour s’approvisionner, à cause du confinement et de la verbalisation des déplacements non autorisés.
«Dans le quartier de La Haie-Griselle [à Boissy-Saint-Léger dans le Val-de-Marne], les points de deal restent ouverts, mais sont déserts», rapporte un policier pour Le Parisien. Ou encore, la permanence du quartier de Victor-Hugo à Gentilly (Val-de-Marne), qui «continue de tourner», n'enregistre, selon un autre policier interrogé par le journal francilien, «plus les files d’attentes habituelles».
«Nous redoutons un gros problème de quiétude sociale à terme»
Enfin, les forces de l'ordre redoutent que la cohésion sociale puisse pâtir, dans certains endroits, de l'impossibilité de se produire du cannabis. Effectivement, puisque les parloirs ont été temporairement suspendus par la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, depuis le 17 mars, le principal canal des prisonniers pour obtenir du cannabis est désormais exclu.
Ça risque de partir en live
«Les détenus ont encore des réserves», décrit un surveillant de la prison de Fresnes (Val-de-Marne) pour Le Parisien. Et de continuer : «Mais d'ici quelques jours, cela va devenir très difficile.» Par ailleurs, le second canal d’approvisionnement, les projections depuis l'extérieur par-dessus les murs, est lui aussi compromis du fait du confinement. «D'habitude, chaque week-end, on a droit à trois ou quatre projections. Mais là, ça devient plus risqué», observe le surveillant.
«Il y a encore du stock», indique un observateur pour le quotidien francilien. «Mais beaucoup vont se retrouver en panne d'approvisionnement. Ça risque de partir en live. Nous redoutons un gros problème de quiétude sociale à terme», estime-t-il ensuite.