Comités Théodule : l'affaire des frais de mission de Ségolène Royal, la marque de l'ancien monde
Pompeusement nommée par Emmanuel Macron ambassadrice des pôles, Ségolène Royal est critiquée pour sa quasi-absence et son usage des frais de mission. Mais elle n'est en fait que le symptôme d'une vieille pratique, celle des comités Théodule.
Evincée du gouvernement par la macronie en mai 2017, Ségolène Royal a vite rebondi. Certainement remerciée pour son attitude Macron-compatible, l'ancienne ministre de l'Environnement a été placée par le président, dès septembre de la même année, à la tête des négociations internationales relatives aux pôles arctique et antarctique. Elle est alors propulsée ambassadrice des pôles, un intitulé majestueux à la limite de l'obséquiosité. Sauf que depuis plusieurs mois, la voilà critiquée sur plusieurs fronts.
Ce 15 novembre 2019, Radio France révèle ainsi que Ségolène Royal dispose d'importants frais de mission, une enveloppe de 100 000 euros par an pour ses activités d'«ambassadrice». Une somme payée par le contribuable en vertu de son statut. Cela n'aurait rien de scandaleux si l'enquête de Radio France ne démontrait pas que cette somme aurait été détournée pour des missions plus personnelles, comme la promotion d'un livre. A sa décharge, Ségolène Royal parle de «calomnies», prétendant que «tout est faux». Reste que tout frais de mission doit être justifié par une action concrète.
N'accablons pas Ségolène Royal : son cas n'est en fait que le symptôme d'un problème politique mettant à mal la vertu au sein de la politique française.
Or, on apprenait en septembre dernier que Ségolène Royal – contrairement à certaines de ses déclarations – n'a en fait jamais mis les pieds une seule fois aux conseils de l'Arctique. Ségolène Royal s'était alors défendue. Elle affirmait par exemple que son action pour les pôles était visible sur son site internet... qui, manque de chance, est accessible à tous. Les internautes avaient alors pu constater que la question des pôles avait un contenu proche du néant. Si bien que la rubrique de son site internet consacrée à son action pour les pôles indiquait au 19 septembre 2019 – soit plus de deux ans après sa prise de fonction : «La page est en cours de construction». Depuis, sa page a été abondamment alimentée de ses rares activités liées aux pôles.
Une défense qui semble néanmoins branlante. Comme le souligne Le Point, Ségolène Royal oublie parfois de se rendre à certains événements, comme lors de la conférence sur les objectifs de développement durable en Arctique, le 1er décembre 2017. L'hebdomadaire affirme que cette absence aurait été remarquée et que le public s'en serait même ému «en tribune». N'accablons pas Ségolène Royal : son cas n'est en fait que le symptôme d'un problème politique mettant à mal la vertu au sein de la politique française.
Emmanuel Macron aime ce vieux monde institutionnel
A y regarder de plus près, le nouveau monde d'Emmanuel Macron poursuit une vieille méthode politique : promouvoir des institutions aux rôles souvent obscurs, voire fictifs. Qu'en est-il ? Des dizaines de comités, autorités, hauts conseils sont créés par les différents pouvoirs politiques. Emmanuel Macron veut même prolonger cette tradition française à l'échelon européen avec la création d'une «haute autorité de la transparence de la vie publique». Une nouvelle institution, dont le rôle est déjà rempli par la Commission des affaires juridiques (Juri) du Parlement européen.
En France, ces instances sont souvent pilotées par des politiques ou des amis du pouvoir. Parfois, ses membres sont placés par des gouvernants en remerciement pour les avoir soutenus, parfois, pour leur donner un mandat lorsqu'ils n'ont plus de siège électoral. Rien que pour l'écologie, on recense 60 comités écologiques déjà existants, certains étant, de l'aveu d'un conseiller ministériel interrogé par Le Parisien, «des coquilles vides, ne servant à rien». A ceux-là s'ajoutent deux autres institutions, souhaitées par Emmanuel Macron et créées en 2019 : la convention citoyenne et un Conseil de défense écologique.
Ces centaines d'entités coûtent une petite somme à la société. La Cour des comptes révèle en octobre 2019 qu'une partie d'entre elles représente un poids de 26,2 millions d'euros pour les finances publiques - certaines ne sont cependant pas cataloguées, comme l'ambassade des pôles ou la Commission nationale du débat public. Si Ségolène Royal s'est justifiée à ce propos, confessant qu'elle ne touchait pas de rémunération pour son poste d'ambassadrice, la dernière affaire dévoile malgré tout que l'aspect pécuniaire est parfois dissimulé par des frais de mission.
A quoi sert le Cese ?
Toutes ces institutions sont censées faire des rapports ou guider l'action publique. C'est le cas par exemple du Haut conseil à la vie associative, du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ou de tous les comités écologiques. Ces organisations ont parfois des compétences qui se chevauchent entre elles. Pis, ces comités Théodule font bien souvent doublon et mettent directement en concurrence une autre institution, le Conseil économique, social et environnemental (Cese). Tout comme les nombreux comités Théodule, le Cese fait lui aussi bien souvent office de placard doré pour ses membres. Le cas du rappeur et militant de gauche Rost, directement nommé à son siège en 2014 par François Hollande, est à cet égard éloquent. L'ancien chef d'Etat avait alors lui-même nommé, par décret en Conseil des ministres, 40 des 233 membres. Ce Cese rend généralement moins d'une trentaine de rapports par an, et même parfois comme en 2016, une petite quinzaine. Chaque membre est rémunéré aux alentours de 3 700 euros bruts mensuels. A savoir par ailleurs que le Cese dispose également d'antennes régionales... En 2013, à la suite de la demande d'un député, on apprenait que le coût des membres de ces Cese régionaux atteignait parfois aux alentours de deux millions d'euros.
Autre question : si le Cese ou tous ces comités Théodule existent et sont censés fournir un cap pour les gouvernements, à quoi servent alors les personnels des ministères, comme le ministère de la Transition écologique, par exemple, les conseillers du ministre, ou les hauts fonctionnaires des ministères ? N'ont-ils pas précisément pour rôle de diagnostiquer ou de proposer des orientations politiques ? La France est une usine à gaz où les gouvernants profitent de notre chère République à des fins critiquables. Ils demandent aux Français de faire des efforts, mais nomment les membres de telle ou telle institution par le fait du prince ou créent de nouveaux organismes. Dans sa nouvelle réforme des institutions, Emmanuel Macron se garde d'ailleurs bien de bouleverser ces structures – évoquant simplement la suppression d'une partie des membres du Cese. En pleine crise du pouvoir d'achat, une démocratie illisible, faisant la part belle à la République des copains, ne peut que contribuer à nuire au pacte social liant le citoyen à l'Etat.
Bastien Gouly
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